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Voilà une publication qui ne sera pas signée, pas pour l'instant !
La mairie d'Argelès a lancé un concours de nouvelles, le texte que nous vous offrons est né comme ça, d'un seul jet !
Mais il ne peut être présenté à ce concours car je n'avais pas bien lu le réglement, c'est comme cela, et il ne remplit pas la condition première exigée !
Donc, nous vous l'offrons en quelques épisodes !
Bonne lecture et nous atttendons les commentaires !
L’une part et l’autre reste !
Les poings enfoncés dans les poches, Sabine regardait sans la voir la femme que les urgences venaient de faire transférer aux soins intensifs.
La vue de cette femme l’avait clouée sur place lui renvoyant l’image d’un futur qui allait être le sien si elle ne se décidait pas à agir. Une petite phrase, complètement déplacée vu le contexte actuel, empruntée à l’humoriste Gad Elmaleh lui trottait dans la tête : « L’autre, c’est moi » !
Tournant soudainement les talons, elle fila d’un pas déterminé jusqu’à la salle de repos du personnel, troqua sa tenue professionnelle contre un look plus passe-partout puis s’empara de son sac à dos.
Passant en coup de vent devant la salle de garde, elle dégringola l’escalier pour gagner, quelques étages plus bas, la salle d’attente du bureau des services sociaux. Compte tenu de l’heure, elle fut étonnée de la trouver déserte mais y vit un signe complice du destin.
C’était maintenant ou jamais !
Assise sur le bout des fesses, elle se mit à fourrager dans son sac pour s’assurer de la présence de son trousseau de clés. Rassurée, elle allait s’installer plus commodément lorsque la porte s’ouvrit sur une petite bonne femme rondelette et joviale.
Les présentations étant inutiles, Françoise Delot, assistante sociale de son état, se tourna vers sa visiteuse pour l’inviter à s’asseoir jaugeant immédiatement le degré de tension qui animait Sabine.
Elle s’apprêtait à lancer la conversation, lorsque Sabine agrippant à deux mains son sweat-shirt lui révéla un torse couvert de bleus !
Françoise n’émit qu’un « bon » laconique et se laissa choir sur la chaise la plus proche, ce qui incita Sabine à l’imiter.
Au moins une chose était sûre, avec elle, aucune effusion dictée par la pitié n’était à redouter.
Une heure plus tard, Sabine quittait son lieu de travail pour filer au commissariat. Françoise avait fait diligence, sa réputation de fonceuse n’était pas usurpée et le certificat médical, que venait de lui délivrer dans la foulée le médecin urgentiste, était pour elle comme un sésame !
Dans l’inconfortable salle d’attente du commissariat, Sabine revoyait en esprit le dernier dimanche de septembre.
Une soudaine frénésie de rangement s’était emparée d’elle. Sans préméditation aucune, elle s’était soudain mise à passer le contenu des armoires au crible. C’est en emballant ce qu’elle venait de mettre de côté que le rêve de la nuit écoulée lui était revenu en mémoire : elle fuyait, un sac à dos rempli de tout ce qu’elle aimait sur l’épaule, la petite Julia la suivant sur son vélo, son doudou sur le porte-bagage !
Sabine réalisa alors que si elle ne fuyait pas encore, elle venait de « remplir » le sac à dos de son rêve. Prenant alors la peine d’analyser sa situation, elle admit qu’elle ne tiendrait pas le coup indéfiniment et ne pourrait plus longtemps protéger sa fille des violences familiales !
Elle avait repris son tri d’un œil critique, ajoutant avec détermination des vêtements de Julia, avant d’aller ranger les sacs dans une vieille cantine métallique qui occupait le fond d’un box faisant office de grenier. L’absence de son mari parti faire un tour à vélo tombait à pic. Huit jours plus tard elle y ajoutait quelques objets personnels.
Si sa première rencontre avec Anton avait tout eu du coup de foudre, elle avait constaté quelques mois plus tard que sa vie ne ressemblait en rien à ce qu’elle avait rêvé. Le côté beau ténébreux de son mari avait cessé de lui paraître romantique, mais que pouvait-elle regretter ?
Elle l’avait voulu, elle l’avait eu et sans cette rencontre Julia ne serait pas née !
C’est pourtant à l’annonce de cette naissance que les tensions avaient commencé.
Anton ne se sentait pas près à être père ! Cependant la situation s’était irrémédiablement dégradée peu après le retour de la maternité.
Julia avait confondu le jour et la nuit jusqu’à ses six mois et Anton avait saisi cette opportunité pour exiger de Sabine qu’elle prenne un congé parental. Trop de stress à l’hôpital, avait-il dit sentencieusement ! Selon lui l’enfant le ressentait et exprimait ainsi son malaise.
Sabine avait senti le ciel lui tomber sur la tête. Son travail était son ancrage dans la vie et même si sa fille était la prunelle de ses yeux, jamais elle ne cèderait.
Pour échapper aux nuits écourtées, Anton avait accepté des missions de plus en plus fréquentes dans le cadre de son travail. Sabine, éloignée de sa famille, était devenue le seul référent affectif de sa fille, ce qu’Anton vivait très mal à chacun de ses retours.
Habitué à se faire servir lors de ses déplacements, il se comportait à la maison comme à l’hôtel. D’exigeant, il était devenu agressif puis un jour était passé aux actes.
Sabine n’avait pas réagi. Ce qui n’est pas dénoncé, n’existe pas !
Il avait fallu l’hospitalisation de cette femme rouée de coups pour qu’elle prenne conscience de la gravité de sa situation même si intuitivement elle sentait le danger depuis longtemps.
Son acharnement à se constituer un petit pécule en vendant sur le Net certains des objets de valeur chinés avec amour dans sa jeunesse en était une des preuves. Elle s’était aussi ouvert une boîte mail pour suivre ses transactions et avait placé le produit de ses ventes en lieu sûr. Anton l’ignorait, seule sa sœur qui vivait à Vannes était dans la confidence. Petit à petit la cagnotte s’était gonflée. Une assurance « survie » qui lorsque les signaux de danger clignotaient lui permettait de se rassurer.
Tout juste sortie du commissariat, Sabine venait de garer la Panda devant l’école maternelle où était scolarisée Julia et s’apprêtait à affronter l’enseignante de sa fille. Mentalement elle venait de s’adresser à ses anges gardiens pour qu’ils l’inspirent et lui permettent de trouver les mots justes qui convaincraient la directrice de déroger à la règle en laissant sortir l’enfant en dehors des heures de classe. Elle entendait par avance l’enseignante lui rappeler qu’elle se devait de ne pas voler d’heure d’enseignement à ses élèves. A croire qu’on les préparait au Bac dès la petite section !
Or elle devait impérativement récupérer sa fille, il en allait de leur survie et ce n’était pas une métaphore. Quelques minutes plus tard, remerciant mentalement ses « petits anges » comme elle les appelait, Sabine ressortait de l’école. Julia trottinant à ses côtés, elle était prête à boucler les formalités que le commissaire de police lui avait détaillées.
Jusqu’à présent, elle avait presque « tout bon ». Le livret de famille, le carnet de santé de la petite, des justificatifs divers, sur une impulsion, avaient depuis octobre rejoint le contenu de la cantine métallique. Restait à faire établir un certificat médical attestant que l’enfant avait été atteinte physiquement.
Sabine, souhaitant que cela se passe le plus sereinement possible pour sa fille, venait d’obtenir à l’arrachée un rendez-vous avec le pédiatre de l’enfant. Arguant d’une urgence, elle avait obtenu de passer entre deux patients. Cela lui donnerait le temps de retourner au commissariat pour faire enregistrer la plainte concernant les violences dont sa fille avait été victime.
Certes, Anton n’avait pas eu dans l’idée de la blesser. Témoin oculaire pour la première fois de violences opposant ses parents, Julia avait pris peur et voulant défendre sa mère, s’était accrochée en hurlant de terreur au bras de son père. Propulsée au travers de la pièce, elle avait atterri contre l’un des montants de la mezzanine, récoltant un vilain bleu qui s’étalait le long de son dos.
Cependant s’il n’avait pas voulu s’en prendre à sa fille, il ne lui avait pas porté secours pour autant. Il avait quitté l’appartement pour ne revenir qu’au petit matin et filer au travail.
Le pédiatre avait commencé à prendre les choses de haut, Julia étant manifestement en grande forme, Sabine avait alors réitéré la scène qu’elle avait jouée dans le cabinet de l’assistante sociale, dégageant d’un geste déterminé le dos de sa fille.
L’enfant n’était pas timide et le pédiatre ne manquant pas de doigté, en quelques minutes, elle avait raconté avec ses mots d’enfant ce qui s’était passé la veille.
Rassurée, Sabine l’avait vu attraper sans un mot l’ordonnancier puis rédiger le certificat qu’elle n’avait même pas eu à demander.
Le médecin n’avait jamais eu l’occasion de s’entretenir avec Sabine de sujets personnels. Il connaissait sa profession, infirmière spécialisée en orthopédie, et son goût pour les bronzes l’ayant rencontrée un jour aux Puces de Vanves ; à part cela, il ignorait tout d’elle. Pragmatique, le futur lui semblant la chose primordiale à assurer, il se contenta de demander à Sabine si elle avait un point de chute pour se mettre « au vert » et de quoi voir venir.
Tout en lui répondant, Sabine réalisait à quel point l’instinct de survie avait joué en sa faveur ! Au moment de quitter le cabinet, le pédiatre reprit l’ordonnancier, y griffonna quelques mots puis lui tendit le papier. Reprenant le chemin du commissariat, Sabine n’en revenait pas. Alors que le matin même elle touchait le fond, elle entrevoyait un avenir plein de promesses.
Restait le plus dur à faire ! Partir !
La vaillante petite Panda déboucha en trombe sur le parking de la résidence du Val Fleuri à Meudon. Sabine attrapa Julia la calant confortablement sur sa hanche avant de se lancer à l’assaut de l’escalier. Elle avait négocié avec sa fille l’emploi du temps des quelques heures à venir. La petite n’avait guère fait de difficulté pour aller attendre sa mère chez la gardienne. La ménagerie qui animait la loge la remplissait de ravissement !
Julia attablée devant une grande assiettée de frites avait à peine regardé sa mère partir, le Ketchup monopolisant toute son attention.
Pour Sabine le dernier round commençait.
L’essentiel de ses possessions étant dans la malle métallique elle décida de charger la Panda puis de la garer sur l’autre parking devant la loge. Elle craignait de voir arriver Anton, même si cela semblait peu probable à cette heure.
Le box vidé de ses trésors elle se rua dans l’appartement. Attrapant plusieurs sacs de voyage, elle fila avec le premier dans la chambre de Julia pour y regrouper doudous, livres, jouets favoris et quelques vêtements incontournables. Ayant réitéré la même opération dans sa chambre elle attrapa les premiers sacs et fonça jusqu’au parking. Elle ne pouvait se défaire de la crainte de voir Anton arriver.
Pourquoi n’aurait-il pas eu un septième sens en action à l’instar du sien ?
Car à quoi devait-elle tout ce mystérieux travail de prise de conscience qui s’était fait en elle, à son insu !
Revenue à son appartement Sabine passa aux choses sérieuses, méthodiquement, suivant à la lettre les conseils du commissaire de police. Elle regroupa le contrat de location à leurs deux noms, les doubles de clés, les contrats d’assurance à son nom et la liste de ses biens personnels, ses derniers relevés bancaires, bulletins de salaires … se félicitant du temps passé à tout ranger au cours des nuits d’insomnie que lui avait imposé Julia !
Son dernier acte fut d’enfourner dans un énorme sac polochon les négatifs photos sur lesquels elle veillait jalousement et les albums photos qui remontaient à la naissance de la petite. Pour finir, elle attrapa une boîte de rangement en plastique et la remplit avec ses cadres et bibelots préférés.
Voilà, il ne restait plus qu’à effectuer le dernier chargement de la Panda et de préférence sans rencontrer qui que ce soit.
Au moment où elle allait franchir le seuil de porte, la sonnerie du téléphone la scotcha sur place. Elle allait décrocher lorsqu’elle se rappela qu’elle était sensée être au travail. Penchée au-dessus du socle elle regardait hypnotisée le numéro affiché, le numéro de portable d’Anton !
Pourquoi diable appelait-il chez eux ?
Un soupçon ?
Sabine attrapa la boîte et lestée par les deux derniers sacs elle mit un point final au chargement de la Panda émerveillée par la grande capacité d’une si petite voiture. Les sacs épousaient au plus près l’espace qui leur était imparti.
Un dernier saut à l’appartement et elle refermait la porte derrière elle pour l’ultime fois de sa vie de couple non sans avoir attrapé la couette de sa fille, son duvet de campeuse et leurs deux oreillers.
Sabine avait fait diligence !
Deux heures après son arrivée, elle récupérait Julia chez la gardienne.
C’est au moment où elle sortait du parking qu’elle réalisa qu’elle avait oublié son ordinateur ! Impossible d’envisager de le laisser derrière elle, même si elle savait pertinemment qu’elle serait bien obligée de remettre les pieds à Meudon à jour, ne serait-ce que par rapport au divorce !
La possible arrivée d’Anton l’incita à poursuivre un peu son chemin et à se garer dans la rue. Au moins, s’il avait des antennes et avait choisi de revenir bien avant l’heure habituelle, ne pourrait-il repérer la Panda. Julia dûment chapitrée par sa mère se pelotonna sur sa couette au moment où Sabine verrouillait l’habitacle.
Sabine eu tout à coup l’impression qu’elle devait agir vite. Préférant l’escalier à l’ascenseur, toujours long à descendre, elle déboucha en trombe sur le palier. Ayant maté la serrure récalcitrante, elle traversa d’un pas vif le couloir pour s’emparer de la sacoche convoitée avant de quitter l’appartement sans même prendre la peine de fermer à clé. Alors qu’elle se dirigeait vers l’escalier, elle entendit au rez-de-chaussée la porte du hall s’ouvrir puis l’ascenseur se mettre en marche. En une fraction de seconde elle gagna la porte palière mais au lieu de descendre, elle se faufila dans le local du vide-ordures. Si l’intrus était Anton, elle le connaissait suffisamment pour savoir qu’il n’aurait pas la patience d’attendre l’arrivée de l’ascenseur, elle n’allait pas tout gâcher par imprudence. Le cœur battant la chamade, n’osant y croire ses yeux, elle entrevit son mari passer à quelques centimètres d’elle. Ayant entendu la porte du palier claquer derrière lui et faisant fi de toute prudence, elle sortit comme un diable du local et dévala les marches. Une fois dehors, rasant les murs, elle gagna au pas de course la sécurité de la petite voiture.
La Panda n’ayant fait aucune difficulté pour démarrer, Sabine commença à se détendre vraiment en arrivant sur la bretelle de l’autoroute. Elle roula encore quelques kilomètres puis stoppa sur le parking d’une cafétéria. Elle ne craignait plus de voir arriver Anton et un bon café lui semblait le summum du bonheur.
A l’arrière, trônant sur sa couette, Julia, le pouce dans la bouche et le doudou coincé sous le bras s’éveilla d’un coup, prête pour l’aventure.
Sabine attrapa son sac à dos, l’endossant même par précaution ; l’idée de perdre les certificats médicaux, les constats de police, l’empêchait de se détendre complètement.
Son dernier acte avant de reprendre la route, fut de passer un coup de fil à sa sœur. Elles étaient attendues à Vannes !
Bien que vivant pleinement l’instant présent, Sabine se projetait déjà dans le futur. Julia en sécurité, elle pourrait se rendre au centre de thalasso dont le pédiatre lui avait griffonné les coordonnées. Elle ne doutait pas une seconde que le poste d’infirmière dont il avait entendu parler serait vacant.
Une nouvelle vie commençait, une vie où plus que jamais elle serait à l’écoute de son sixième sens, veillée par ses « petits anges ».
Une vie qui permettrait à Julia de se construire dans la Sérénité.
La seule chose qui faisait peine à Sabine était de penser qu’il avait fallu que le malheur frappe une inconnue pour que le bonheur lui soit offert.
Quel chemin parcouru depuis sa rencontre du matin avec la jeune femme des urgences !
« L’une reste et l’autre part » !
Encore un titre emprunté au Show-Biz qui lui venait à l’esprit. Do