Je range, je trie, je classe et je viens de retrouver cette nouvelle écrite par Frédérique après le départ de Virgile, notre fox !
Son absence est toujours là.
Cette détresse fut la mienne aussi, est-ce derrière moi ? je n'en suis pas bien sûre !
Alors en cette fin d'année où certains n'hésitent pas à faire cadeau d'un compagnon à quatre pattes, je vous partage ce texte.
Un animal est un être sensible, doté d'une âme, il mérite le meilleur et sans doute pas d'être traité comme un objet !
Dominique
Compagnon du bonheur
Une nouvelle de Frédérique Longville
Cela fait des jours, plusieurs semaines déjà, qu’elle revit en boucle ce jour tragique où elle a dû prendre la décision la plus difficile de sa vie, celle de se séparer définitivement de son petit compagnon.
Brusquement, son état s’était dégradé. Oh, il faisait de son mieux pour donner le change, lui témoigner encore sa volonté de vivre, son amour inconditionnel, mais elle voyait bien que c’était la fin, qu’il n’en pouvait plus et que l’inéluctable était à l’œuvre. Simplement, comme toujours, il ne voulait pas l’inquiéter, lui faire de peine, il « assurait » pour lui faire plaisir. Quel courage !
Alors qu’elle déjeunait sans appétit, tourmentée par sa faiblesse et encore indécise, vacillant sur ses pattes, titubant, il était venu quémander une ou deux miettes de pain, avant de s’affaisser, à bout. Le moment était-il venu ? Pouvait-elle vraiment faire ça, « lui » faire ça, le trahir de la pire façon, en décidant arbitrairement que c’en était assez. Etait-ce son souhait, à lui ? Voulait-il en finir ? Comment savoir ?
La vétérinaire avait été parfaite, douce, compréhensive. « Vous savez, les animaux ont cette chance, eux ; on peut les aider à partir » avait-elle murmuré en lui adressant un regard rassurant et bienveillant. Une façon de valider sa décision, de lui signifier qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Elle avait accepté d’intervenir dans la voiture, garée à l’ombre d’un petit olivier dont l’ombre providentielle atténuait les ardeurs du soleil de juin. C’était mieux que dans cette clinique froide et impersonnelle qu’il détestait tant, où il avait toujours eu si peur. Cette voiture était sa deuxième maison. Toujours prêt à grimper à bord pour partir à l’aventure !
Il n’avait pas eu l’ombre d’une crainte ; il n’avait pas bronché. En quelques secondes, tout était fini ; il était parti très vite. Avait-il réalisé ce qui se passait ? Etait-il soulagé ? S’était-il senti trahi ? Avait-il compris qu’elle avait accompli à son égard l’acte d’amour le plus éprouvant qui soit ?
Un dernier baiser sur la truffe, une dernière caresse sur son corps apaisé, et il avait été emporté loin d’elle. Huit jours plus tard, elle avait récupéré ses cendres.
C’est désormais tout ce qui reste de son existence terrestre, de ces douze années de bonheur et d’émerveillement partagés.
Une parenthèse magique s’est refermée.
En dépit des photographies, d’une multitude de souvenirs précis, drôles, émouvants, et même, exceptionnellement, terrifiants, elle a parfois l’impression d’avoir rêvé cette belle aventure, ce cadeau du ciel, splendide et éphémère, comme la vie.
Irréel, et non moins douloureux. Cruel.
Elle a beau tenter de se consoler en se disant qu’il ne souffre plus, que son âme est libérée, le vide est immense. Jamais elle n’aurait pensé souffrir autant. Le manque est permanent. Elle s’attend à le voir partout. Or il n’est plus nulle part.
Elle ne s’habitue pas.
Seuls ceux qui sont déjà passés par là peuvent comprendre. Ceux qui ont vécu avec un chien ou tout autre animal une relation forte, portée par un amour réciproque, authentique, et désintéressé ; et qui plus est, une relation égalitaire car jamais elle ne l’a considéré comme son inférieur. Il avait besoin d’elle ; elle était responsable de son bien-être. Et elle avait autant de respect pour lui que pour n’importe quel être vivant, humain ou non.
Elle qui a déjà vécu la douleur d’une séparation définitive, découvre qu’il n’y a pas de hiérarchie dans la mort quand on aime. Elle souffre. Elle est en deuil.
Un deuil souvent mésestimé.
Elle entend parfois des stupidités : « Ah, te voilà libre, maintenant ! Tu vas pouvoir voyager ! ». Oui, c’est vrai, depuis qu’il était entré dans sa vie, elle avait renoncé à prendre l’avion et à tous les endroits interdits aux chiens, de plus en plus nombreux. Pas question de le confier à un chenil pour voyager sans lui, ne serait-ce qu’une seule journée. Elle avait accepté ces contraintes sans regret. Ce n’était pas un sacrifice. Elle l’aimait, c’était normal. De toute façon, elle n’avait personne pour le garder. Elle avait donc décidé qu’il irait partout où elle irait ; et s’il ne pouvait pas y aller, elle n’irait pas ! Simple comme bonjour. Stupide pour certains, mais elle n’en avait que faire.
Elle s’était bien sûr autorisée occasionnellement des sorties de quelques heures sans lui ; mais l’un dans l’autre, elle s’en était tenue à sa décision. Il l’avait accompagnée (presque) partout, dans toutes ses passions : en voyage, en randonnée, à la mer, à la neige, en vélo, en bateau, en pédalo, en télésiège, en téléphérique. Ils étaient indissociables. Il était de toutes les fêtes, de toutes les réjouissances et elle avait tiré un trait sur ceux qui ne voulaient pas de lui. Mais ce n’était arrivé qu’une seule fois, Dieu merci !
Autour d’elle, il y a ceux qui ne parlent plus jamais de lui, comme s’il n’avait jamais existé. Par tact ? Par gêne ? Ont-ils peur de lui faire du mal ? S’ils savaient comme elle a besoin de parler de lui ! Reconnaître sa douleur est la meilleure façon de l’aider à l’exprimer. Mais ils évitent soigneusement le sujet. Certains remarquent son absence, disent que « ça fait bizarre ». Elle acquiesce en soupirant, une boule douloureuse dans la gorge. Pourtant, elle préfère ça au silence. C’est comme s’ils prenaient à leur compte un peu de sa peine. Elle en est pleine de gratitude.
D’autres veulent savoir si elle va le « remplacer ». Comme une vieille casserole, un gilet troué ou une chaise cassée. Le remplacer. Tout a fait significatif de cette société ultra matérialiste qui n’accorde aux animaux guère plus d’importance qu’aux meubles. Non, pour elle, un chien, un animal, ne se remplace pas ; au mieux, on lui trouve un successeur.
Mais pour sa part, elle ne cherchera même pas. Elle ne veut pas.
Elle ne veut pas un chien ; elle veut son chien ! Elle veut celui qui saluait chacun de ses retours en se trémoussant de joie et en haletant de soulagement, la couvrant de lichettes désordonnées, lui mordillant amoureusement les poignets, et enfouissant son museau sous son bras pour accueillir ses caresses… Celui qui se livrait sans retenue à des simulacres de combat, facétieux, joyeux, espiègle et vaillant. Mais aussi « bêtiseux », voleur et râleur invétéré ! Un vrai mousquetaire : bon cœur et mauvais caractère. Celui qui manifestait sa joie en se contorsionnant les quatre fers en l’air, dans l’herbe, le sable, sur le lit ou sur le canapé. Mal élevé ? Peut-être ; on s’en fiche ! C’est lui qui lui manque et qu’elle veut. Pas un autre ! Même si elle sait qu’elle saurait l’aimer ; elle n’en veut pas. C’est tout.
Une chose est sûre : elle a fini d’avoir peur. Peur d’avoir un accident, de ne plus être en mesure de s’en occuper et de le voir finir ses jours dans un chenil. Peur qu’il se perde, qu’il soit volé, attaqué par un autre chien ou qu’on lui fasse du mal gratuitement ; il y a encore tant de barbarie dans le monde vis-à-vis des plus faibles.
Il y avait en elle un souci permanent de le protéger. Au moins aujourd’hui, la voilà soulagée : il ne risque plus rien.
Et ce n’est pas tout : fini aussi de se battre contre les vaccinations néfastes et inutiles, tous ces poisons administrés à titre de « protection »… Un marché comme un autre, en fait, comme celui de la nourriture industrielle, croquettes, boîtes, et compagnie. Non, plus question de repasser par là.
Reste à gérer l’absence, le manque physique ; et tout le problème est là. Ne plus pouvoir le voir, le toucher, le caresser, le sentir… Ses sens sont en manque de lui.
Pourtant, elle sait qu’il est là et que son âme l’accompagnera jusqu’à son dernier souffle, se moquant désormais de tous les interdits, de toutes les discriminations.
Il est partout où la vie palpite, gambadant librement dans les prairies fleuries, se roulant avec délice dans les bouses de vache odorantes, pataugeant dans les torrents bavards, ou escaladant les rochers escarpés.
Il est en elle, autour d’elle ; il est l’oiseau qui vocalise, le papillon qui voltige et le cheval qui détale au galop.
Il est partout.
Elle n’oubliera jamais. Un jour, elle souffrira moins, sans doute. Peut-être.
La page est tournée.
Mais quel beau livre ils ont écrit ensemble !
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