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19 mars 2013 2 19 /03 /mars /2013 20:31

Cette nouvelle n’est pas vraiment une fiction, monsieur Laguépi existe bel et bien, tout aussi mal aimable, il a en effectivement quitté la Résidence hier, à sa demande, non sans avoir fait parler de lui une dernière fois nécessitant l’intervention d’une famille de résident (nous ! vous l’aurez deviné).

Nous étions quelques uns à assister à son départ et c’est en le voyant monter dans le taxi, sac plastique et petite mallette à la charge de l’ambulancier, lippe boudeuse, que je me suis imaginée son retour au domicile …

La suite n’est malheureusement que fiction !

Il n’était pas de retour aujourd’hui ! Pauvre femme !!!

      

Madame Octave Laguépi.

Le taxi ambulance vient de se garer devant le 13 de la rue des mimosas. Le chauffeur, un petit homme baraqué et basané en sort et d’un pas paisible se porte vers l’arrière du véhicule. Les portes s’ouvrent libérant un plan incliné à l’extrémité duquel se profile la silhouette massive d’un homme âgé tassé dans un fauteuil roulant. En quelques secondes, ce dernier se retrouve sur la chaussée, un sac plastique volumineux posé à ses pieds.

Toujours aussi paisible, l’ambulancier contourne le véhicule et par la portière côté passager, attrape un petit sac de voyage qu’il se met à l’épaule avant de retrouver l’homme au fauteuil.

Si le chauffeur est calme, il n’en est pas de même du vieil homme qui s’agite sur son siège et ne semble pas du tout apprécier de se voir remettre le sac plastique sur les genoux.

Le tandem s’achemine vers le portail vert sur lequel une plaque en marbre indique le nom de la villa ! Les géraniums !

L’ambulancier délaissant provisoirement son patient, cherche une quelconque sonnette pour signaler leur présence. Rien !

Il tente alors d’ouvrir le portail qui résiste puis s’entrebâille légèrement sous la poussée, libérant le passage à un chat à peine pressé de quitter les lieux. De son fauteuil, le vieux monsieur invective le félin qui, de son côté, semble complètement indifférent à cet assaut verbal. Il poursuit son chemin, queue dressée, échine ondulante, en quête d’un autre coin où poursuivre sa sieste.

-         « Bon, ça vient, c’est long ! » s’impatiente le bonhomme la lippe boudeuse.

-         « Excusez-moi, mais il semble n’y avoir personne » rétorque l’autre.

-         « Arrêtez de dire n’importe quoi, elle doit être derrière, allez-voir ! »

-         « Elle, qui, elle ? »

-         « Mais enfin, ma femme ! qui voulez-vous d’autre ! »

L’ambulancier pénètre dans le jardin. Tout à fait le style qui lui fait peur, petites allées gravillonnées, massifs étiques entourés de plaques de béton, une végétation sous surveillance qui, ceci dit, n’a pas dû voir le jardinier depuis quelque temps.

L’arrière du pavillon, n’est pas plus accueillant, volets fermés, fils à linge nus, salon de jardin remisé sous une pergola noyée par la végétation. Perplexe et vaguement inquiet, l’homme revient près de l’entrée et se résout à héler un éventuel occupant des lieux, histoire de dire qu’il n’aura rien laissé au hasard.

Pas de réponse !

D’un regard circulaire, il balaie les environs espérant voir arriver la propriétaire des lieux, en vain. Au moment où il retourne vers son ambulance pour tenter de joindre le secrétariat de la maison qui l’emploie, le vieil homme l’attrape avec violence par le bras et commence à l’insulter. Comme s’il était pour quelque chose dans la situation.

-         « Bon, écoutez, y’a personne, ça crève les yeux ! »

-         « Comment ça, personne, c’est pas possible, vous n’êtes qu’un bon à rien, j’t’en foutrais moi ! personne ! »

L’ambulancier attrape son téléphone lorsqu’une femme à bicyclette s’arrête à leur hauteur. Manifestement elle connaît bien son client mais sa vue semble la laisser interloquée.

-         « Monsieur Laguépi ?, qu’est-ce que vous faites là ? »

-         « A votre avis ! ça se voit, non ? »

L’ambulancier s’est approché et entame la conversation mais alors qu’il s’attend à ce que de la discussion jaillisse la solution à son problème, c’est tout le contraire qui se produit. Madame Octave Laguépi est partie. Où ? Mystère ! La cycliste n’en sait rien, tout juste apprend-elle aux deux hommes qu’un camion de déménagement était là la veille et que sitôt son départ, madame Laguépi est partie dans sa petite auto !

Frénétiquement le chauffeur pianote sur le clavier de son mobile. Il a perdu son flegme et s’emmêle un peu dans les explications qu’il donne à la secrétaire qui gère le staff d’ambulances. Finalement, après avoir attendu de nouvelles instructions, il revient vers son patient qui bout de rage sur son fauteuil.

La cycliste a disparu et rien ne bouge dans la rue.

-         « Bon, je vous ramène à la Résidence »

-         « Mais il n’en est pas question, je rentre chez moi ! »

-         « Et bien vous rentrerez avec quelqu’un d’autre, pour moi, c’est fini !

D’un geste large, monsieur Laguépi vide le contenu du sac plastique sur le trottoir, libérant un vestiaire hétéroclite que l’ambulancier se dépêche de ramasser avant de faire réintégrer l’ambulance à son acariâtre passager.

 

A la Résidence la consternation est totale.

Monsieur Laguépi ! Le retour ! Ta, da, da, dam !

Personnel, résidents n’en croient pas leurs yeux. Quant à monsieur Laguépi, il ne décolère pas et est bien décidé à rester cloîtré dans sa chambre.

Martine, la secrétaire, qui cherche à joindre l’épouse en fuite, mais tombe systématiquement sur la boîte vocale de la messagerie, accepte toutes les suggestions !

Le problème est que depuis son entrée chez eux, ce résident n’a jamais reçu de visite mis à part une seule et unique de son épouse justement. Les renseignements fournis lors de son entrée font certes état d’un fils mais sans adresse. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin.

Alain, le seul aide-soignant de sexe masculin des lieux, propose son aide. Il va tenter de savoir auprès du père où vit le fiston ! Sa proposition est accueillie avec joie par ses collègues féminines qui d’une manière générale limitent leurs interventions auprès de ce vieil homme au strict nécessaire.

Grognon, pour ne pas dire plus, à son arrivée, chacun pensait que son attitude changerait lorsqu’il se serait habitué. Son côté emporté avait également été remarqué par certaines familles de résidents. L’une d’elle avait même noté que chaque jour à la même heure, évidemment au moment de la pause du personnel, l’occupant de la chambre 74 appelait ! En fait très vite il s’était rendu antipathique auprès de quiconque. Il parlait aux femmes comme à des chiens, jamais de merci ou autre formule de politesse. Tout devait être fait à la minute et si personne parmi les aides-soignants étaient disponibles, les visiteurs étaient mis à contribution sans ménagement ni remerciement.

Dans un premier temps, on l’avait plaint. Comment s’étonner qu’il soit aigri si sa femme ne venait pas le voir ! Puis un jour il avait levé la main sur l’infirmière et ce fait d’abord isolé s’était reproduit. En fait, il leur avait tout naturellement annoncé que cogner était dans ses habitudes mais qu’il les préviendrait, un sacré plus par rapport à sa femme qui n’avait pas droit aux sommations ! Il n’avait absolument pas conscience de la gravité de ses gestes et que dénoncé il aurait été sous le coup de la justice.

Autant dire que la nouvelle de son départ les avait enchantés même si chacun avait eu une pensée émue pour son épouse. Elle n’avait pas soufflé longtemps !

A peine un petit trimestre !

 

Deux jours plus tard, le fils, localisé à Bordeaux grâce à l’intervention d’Alain, entre à la Résidence. Il annonce immédiatement la couleur au directeur de l’établissement. Il sait où est sa mère mais ne dira rien et il hors de question qu’il prenne son père chez lui. Par contre il ne se fait pas prier pour raconter l’extravagante fugue de sa mère. Il y a 8 jours, lorsqu’elle a appris que son mari voulait rentrer au domicile conjugal et que l’on ne pouvait le contraindre à rester  à la Résidence, son sang n’a fait qu’un tour. Jamais plus, elle ne revivrait l’enfer qui a été le sien auprès de cet homme suffisant et plein de morgue. Elle a pris goût à la liberté, retrouver l’estime de soi et si elle n’a jamais divorcé pour plein de raisons qui ne lui paraissent plus justifiées, il est hors de question de se laisser de nouveau écraser. Le lendemain de l’annonce du retour de son époux, elle cherchait le garde-meuble qui allait pouvoir se rendre disponible le plus rapidement. L’affaire entendue, ayant prétexté des problèmes de santé pour retarder le retour d’Octave Laguépi, deux jours plus tard elle quittait ce pavillon où elle avait connu le pire. Il serait toujours temps de venir récupérer le mobilier qui lui était cher, le principal tenait dans sa petite Micra. Une amie allait l’accueillir le temps pour elle de se retourner.

Feu madame Octave Laguépi avait vécu, madame Joséphine Laguépi avait de beaux jours devant elle. Fini pour elle d’effacer jusqu’à son prénom de son identité, elle avait récupéré le sien et d’ici quelque temps elle aurait repris son nom de jeune fille.

 

Le fils vient de repartir, il n’a même pas voulu voir son père qui va rester encore quelque temps à la Résidence avant d’intégrer une autre maison de retraite. Cette décision est imposée par le directeur qui a invoqué un problème de place. Après tout, le départ d’Octave Laguépi avait libéré une chambre qui aurait très bien pu être immédiatement occupée, la liste d’attente n’est pas une vue de l’esprit !

C’est ce motif qu’il vient d’avancer à Octave. Ce dernier n’a pas pipé mot, il a regardé par la fenêtre, tourné son fauteuil et demandé qu’une « fille » vienne le chercher pour le conduire à table.

Point final.

Do

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