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27 juillet 2016 3 27 /07 /juillet /2016 14:57

Tu ne peux pas comprendre…

Frédérique Longville

Nouvelle

Tu ne peux pas comprendre... Nouvelle

La silhouette élancée, la démarche vive, véritable explosion de couleurs dans sa longue tunique chamarrée, et son large pantalon rouge, Sophie vient de s’engouffrer dans la salle du restaurant. Elle la traverse en saluant de multiples connaissances à droite et à gauche, et après une courte halte pour faire la bise au serveur, rejoint au fond de la salle le petit groupe d’amies regroupées à sa table habituelle.

Depuis plus de vingt ans, « Le P’tit Noir » est leur point de ralliement, leur QG, leur port d’attache. Dans leur décor Belle Epoque, les murs couverts de photographies d’artistes en noir et blanc ont été les témoins de leurs confidences, de leurs fou-rires, de leurs angoisses ; ils savent tout ou presque d’elles ; tout ce qu’elles ont bien voulu dire. Les appliques anciennes dispensent un éclairage intimiste tout à fait à leur convenance. La table est raffinée ; discrètement disposés, les hauts parleurs diffusent des programmes classiques qui les laissent libres de deviser sans noyer leurs paroles. Une pause salutaire dans le tourbillon de la vie.

L’étonnement fige le visage de Sophie au milieu des embrassades, tandis que son regard myope balaye l’assemblée derrière ses lunettes à monture rouge… Tiens, elles ne sont que trois ?

- Agnès n’est pas là ?

- Elle vient de téléphoner, répond Isabelle en se levant pour l’accueillir, plus petite que Sophie, un peu boulotte et serrée dans un petit tailleur classique, cheveux blonds coupés courts et maquillage discret mettant en valeur son regard bleu. Elle devait voir son médecin et il a pris du retard. Elle pense arriver d’ici trois quart d’heure. Elle nous a dit de commander et de commencer.

- Quand même, on n’est pas si pressées, d’autant que Anne ne nous rejoindra que pour le dessert ! répond Sophie en souriant à Florence qui s’est dressée à son tour. Qu’est-ce qu’elle a ?

Florence prend la parole à son tour pour expliquer. Tout en l’écoutant, Sophie s’étonne une fois encore du choix vestimentaire de son amie ; du noir, du gris, du blanc, du classique, du sérieux. Elle lui a souvent suggéré de mettre de la couleur dans sa vie. Tout est si noir chez elle. Jusqu’à ses cheveux bien trop courts qu’elle s’obstine à maintenir dans leur couleur originale, d’un brun profond qui accentue les multiple marques du temps sur son visage. Que c’est triste, tout ça…

- Rien de particulier. Elle a passé sa coloscopie hier et son médecin devait lui commenter les résultats.

Sophie s’abstient de tout commentaire, lève les yeux au ciel et soupire en se tournant vers Catherine, la dernière du trio, longue et fine comme une allumette. Elle la trouve très en beauté ce soir, avec sa petite robe chasuble et sa nouvelle couleur, un blond doré plus doux à son visage anguleux.

- Tu as changé de rouge à lèvres, remarque-t-elle également.

- Exact !

- J’aime bien. Ça te va bien.

- Merci. Mais toi, ça fait drôle de te voir sans teinture ; on n’a pas l’habitude… Oh, mais finalement ça ne te vieillit pas trop. Hein ? Qu’est-ce que vous en pensez, les filles ?

Isabelle et Florence promènent un regard critique sur l’épaisse tignasse de leur amie. Adepte de la simplicité, Sophie s’est contenté de la tresser sur la nuque.

- Moi, dit Isabelle, je serais toi, je les couperais, mais ça te va bien. Ça fait ressortir ton bronzage. Vous revenez encore de vacances ?

Sophie ricane en s’installant à sa place :

- « Encore », comme tu dis… Hé oui ! Avec un camping-car, on a vite fait un tour, qu’est-ce que tu veux ! Et vous, alors ? Ça va ?

Un soupir général lui répond. Elle éclate de rire malgré elle :

- A ce point ?

Isabelle fronce les sourcils ; elle a vraiment l’air fâché :

- Ça te va bien, toi ! Tu ne peux pas comprendre, tu es toujours en pleine forme !

Sophie demeure un bref instant bouche bée. Isabelle a bien l’air de lui faire un reproche ! Et voilà Florence qui renchérit, réellement amère :

- C’est vrai… Anne et toi, vous n’avez jamais mal nulle part… Jamais de rhume, de crise de foie, pas même un mal de tête… C’en est presque écœurant !

Et Catherine qui opine du chef ; c’est qu’elle a l’air d’accord ! C’est la meilleure.

- Hé bien excusez-moi, bredouille Sophie, face à ce tir groupé. Enfin, excusez-nous d’être bien portantes, se reprend-elle vivement. Vous pourrez en faire la remarque à Anne quand elle arrivera. Elle appréciera…

- Non mais, comprends, Sophie, tempère Catherine, c’est vrai quoi… Toutes les deux, vous êtes étonnantes. Tiens, quand-est-ce que tu as vu le médecin pour la dernière fois ?

Sophie réfléchit intensément. C’est vrai que ça fait un bail.

- Je dirais un peu plus d’un an...

Isabelle bondit littéralement :

- Hé bien moi, je dis que ça n’est pas raisonnable, annonce-t-elle sur un ton péremptoire. A nos âges, on a besoin de voir le médecin régulièrement, de se faire prendre la tension, de faire des analyses…

Sophie se redresse :

- Je fais ce que je veux ! Et tant que je me sens bien, je ne vois personne. Et on dirait que ça me réussit puisque ça vous rend jalouses ! Vous, vous êtes toujours chez le toubib, et vous avez toujours un pet de travers !

Catherine opine du chef gravement:

- De toute façon, nous ne sommes pas égaux face à la maladie. C’est vrai qu’Agnès a beaucoup de problèmes de santé… A tous les niveaux : le dos, les intestins, les yeux… Elle est dépressive, mais franchement, il y a de quoi.

Sophie esquisse une moue dubitative.

- C’est peut-être le contraire…

- Comment ça ?

- C’est peut-être parce qu’elle est dépressive qu’elle a tous ses problèmes. Elle n’a pas une vie marrante.

- Bien sûr, c’est un cercle vicieux. Mais qu’est-ce que tu veux qu’elle fasse ?

Sophie demeure silencieuse.

Catherine soupire gravement.

- La pauvre, avec son père…

Un lourd silence s’installe. Chacune semble méditer sur la situation inquiétante de leur amie, empêtrée dans des problèmes familiaux à n’en plus finir : veuve, un fils unique expatrié en Floride, et un parent en grave situation de dépendance à son domicile.

- Il parait qu’il est de plus en plus tyrannique, murmure Catherine. Il ne supporte plus tous ces intervenants qui se succèdent toute la journée, infirmiers, kiné, aide-ménagère… Vous vous rendez compte ? Il va jusqu’à exiger que ce soit Agnès qui lui fasse sa toilette ; il ne veut pas des aides-soignants. Tout juste s’il accepte la présence d’une dame de compagnie quand elle doit s’absenter. Et encore le fait-elle un minimum ! A force de le manipuler, tu m’étonnes qu’elle ait le dos flingué…

Sophie approuve vigoureusement :

- C’est sûr… Moi, je vois, avec notre mère, quand on s’est retrouvées dans la même situation, Anne et moi, on avait mal partout : dans le dos, aux épaules, aux poignets…

Isabelle lui coupe la parole :

- Ah oui, mais vous, c’était pas pareil ! Vous étiez deux ! Agnès, elle fait face toute seule !

Sophie en reste coite. Dans sa tête, défilent rapidement les douloureuses années du déclin de leur mère ; une décennie. Oui, c’est vrai, elles se sont bien épaulées, Anne et elle. Mais quand même ! Et il n’y avait pas que les problèmes physiques ; il fallait aussi assumer la détresse morale, le combat de cette femme pour conserver son intégrité jusqu’au bout en dépit des dégradations physiques. Elles avaient beau l’aimer plus que tout, elles n’avaient pas toujours compris. Ce fut dur…

C’est vrai. Elles étaient deux. Sophie serre les lèvres et se tait. Puisqu’elle ne peut pas comprendre…

C’est vrai, elle ne comprend pas la résignation d’Agnès à accepter de cet homme toutes les humiliations. Elle ne comprend pas ce corps médical qui jamais ne lui a dit que la situation serait trop difficile pour elle, qu’elle ne pourrait jamais l’assumer jusqu’au bout sans mettre en péril sa propre santé. Elle ne comprend pas cette amie qui court au suicide dans l’indifférence générale d’un système impuissant à aider vraiment les aidants. Inutile par ailleurs de lui dire que cela ne peut plus continuer ainsi ; elle répond invariablement : « qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? » Mais bon sang, qu’est-ce qu’il attend, son médecin traitant, pour lui dire en face : « madame, vous vous détruisez. Votre père n’est plus à sa place chez vous ; il a besoin d’un établissement spécialisé. C’est lui ou vous.» ?

Le regard baissé sur son assiette, Sophie se garde bien de faire part de ces remarques. Non, effectivement, ça la dépasse ; mais ça ne sert à rien de le redire.

Heureusement, Catherine change de sujet :

- Bon alors, les filles, quand est-ce que vous venez me voir à la boutique ? J’y suis tous les jours en ce moment !

Les trois autres ouvrent des yeux ronds ; toutes savent parfaitement que leur amie va de temps à autre prêter main forte au magasin d’antiquités de son fils, mais tant qu’à y être à plein temps, c’est une nouveauté. Ce ne serait pas un peu beaucoup ?

- Tous les jours ? reprend Sophie.

- Oui… Comme Thibault passe beaucoup de temps auprès de sa femme dépressive, il m’a demandé de le remplacer pour un petit moment. Oh, ce n’est pas que ce soit désagréable, mais ça veut dire une heure de transport en commun le matin et une heure le soir ; parfois plus, aux heures de pointe… Je suis crevée ! J’ai ma sciatique qui s’est réveillée et j’ai dû prendre rendez-vous chez le rhumato. Heureusement qu’il avait un trou après-demain !

- Et ça va durer encore longtemps ?

- Aucune idée.

- Dis-lui que tu es fatiguée et de trouver une autre solution !

- Je ne peux pas lui faire ça… C’est déjà dur avec sa femme…

- Qu’est-ce qu’elle a ?

- Elle n’arrive pas à se remettre du décès de sa mère.

Sophie opine du chef :

- Ça, je le comprends… C’est un deuil difficile à faire. Moi, ça va faire deux ans et…

- Oui, mais toi, c’est différent ; ta mère avait atteint un bel âge. A cent ans, on ne peut pas s’attendre à ce que ça dure encore beaucoup.

- Et d’ailleurs, je ne le souhaitais pas, répond Sophie sèchement… Mais l’amour ne fait pas la différence, si tu vois ce que je veux dire…

Un nouveau silence s’installe, jusqu’à l’intervention d’Isabelle :

- Moi aussi, je suis crevée. Je suis allée garder les garçons de ma fille, le week-end dernier. Ils sont terribles ; c’est épuisant.

Sophie se récrie presque malgré elle :

- Oh, les filles, attention, vous vous laissez bouffer !

Elle a beau ne pas insister, la réponse, inévitable, ne tarde pas à fuser des lèvres d’Isabelle :

- Toi, évidemment, tu ne sais pas ce que c’est, tu n’as pas d’enfant !

Comme autrefois, lorsqu’elle avait le malheur de leur faire des suggestions sur le plan éducatif ! Elle pouvait bien leur faire remarquer que même si elle n’avait pas d’enfant à elle, elle en avait une trentaine dans sa classe depuis un certain nombre d’années et s’occupait régulièrement de sa filleule, - c’était tout de même une certaine expérience-, ses remarques étaient toujours tournées en dérision : avoir un enfant, à soi, c’est une toute autre affaire. Elle n’avait pas voix au chapitre, tout comme Anne qui avait embrassé la même profession. Encore un sujet de discorde, d’ailleurs, cette profession, soit dit en passant… On ne manquait pas de leur clouer le bec à la moindre réflexion sur le monde du travail ! Comparé au privé, l’Education Nationale est un milieu tellement favorisé (sécurité de l’emploi, vacances…) qu’elles ne pouvaient pas comprendre ! Forcément…

Sophie prend une longue inspiration ; le bouillon commence à lui monter à la tête ! Ras le bol, des « tu ne peux pas savoir » ou « tu ne peux pas comprendre » ! D’autant qu’elle sait ce que c’est que d’assumer des enfants à plein temps, tout comme Anne qui a partiellement élevé les enfants de son « ex » !

- Peut-être, mais j’ai connu des mères et des grands-mères qui ne se seraient jamais laissées exploiter ! Tiens, ma tante, il lui arrivait de garder ses petits-enfants, mais si cela lui allait bien, à elle. Quand elle en avait envie. Et pas seulement pour rendre service… Les baby-sitters, ça existe.

- Et ça coûte cher, pour de jeunes ménages !

Sophie la regarde, interdite. C’est Isabelle qui dit ça ? Alors que son fils est fondé de pouvoir au Crédit Agricole et sa belle-fille expert-comptable ? Ils n’ont pas les moyens de se payer une baby-sitter ?

- Arrêtez… Arrêtez de vous plaindre… Isa, si tu gardes les petits, c’est que tu le veux bien ! Pareil pour toi, Cathy… Avoue que ça ne te déplaît de garder le magasin de Thibault. C’est que quelque part vous y trouvez votre compte !

Isabelle rougit de fureur :

- Tu ne crois pas que je préfèrerais me payer du bon temps, comme toi qui revient encore de voyage, plutôt que de garder des gamins qui ne savent pas obéir ?

- Mais non ! Tout est une question de choix, dans la vie !

La révolte gronde ; elle est sur le point d’exploser… Isabelle et Catherine ne peuvent accepter ce discours. Elles sont victimes et revendiquent haut et fort ce statut. On doit les plaindre !

Florence ne dit rien. Elle n’est jamais très bavarde mais Sophie la trouve particulièrement mutique aujourd’hui. Elle n’est ni mère, ni grand-mère ; enfin pas vraiment… Sans doute estime-t-elle ne pas avoir son mot à dire dans ce domaine. Elle a pourtant des raisons de se plaindre, même si ce ne sont pas les mêmes que les autres : un mari autoritaire, intransigeant et volage qui n’a rien trouvé de mieux que d’héberger sous leur toit sa fille d’un premier mariage, avec son mari et leur bébé de huit mois. Un jeune couple sans revenu, pas vraiment décidé à entrer dans la vie active, mais qui profite sans scrupule de tous les avantages de la situation depuis plus d’un an : logis, nourris, blanchis et une baby-sitter gratuite à l’occasion, et sans jamais proposer le moindre coup de main. Florence subit tout cela sans trop se rebeller se confiant à ses amies quand elle n’en peut plus. C’est comme une soupape de sécurité. Sophie lui a déjà suggéré de ruer dans les brancards, de cesser de tout accepter, d’exiger qu’on la respecte ou à défaut, de plaquer tous ces profiteurs et de quitter le domicile ; elle a une retraite correcte et largement les moyens de s’assumer seule, après tout ! Mais voilà qui a toujours fait ricaner Florence : pas si facile, qu’est-ce qu’elle croit ? En tant que célibataire, Sophie ne peut pas savoir… D’abord, il lui faudra trouver le courage de sauter le pas, d’affronter la fureur de son mari quand elle devra lui annoncer qu’elle veut le quitter. Et puis après, elle se retrouvera seule. Sait-elle seulement ce que c’est, Sophie, la solitude ? Elle qui a la chance de vivre avec sa sœur avec qui elle s’entend à merveille ?

Agnès a fait son entrée, étouffant la discorde dans l’œuf. La remarque de Sophie est déjà oubliée. Presque. Agnès porte un de ses sempiternels tailleurs pantalon. Cheveux gris, coupe classique, quasi-réglementaire chez les plus de 60 ans : à la garçonne ! On se lève, on s’embrasse, on s’inquiète :

- Alors ?

- C’est bon, tout va bien.

Agnès se laisse tomber sur son siège en soupirant.

- Je n’en peux plus ! Ah, quelle journée ! Papa m’en a fait voir de toutes les couleurs et je viens d’apprendre qu’une grande amie souffre d’un cancer du sein. Entre ça et tout ce qui se passe partout, franchement, il n’y a pas de quoi se réjouir !

Sophie hausse les épaules :

- Les infos, il ne faut pas les écouter.

- Il faut bien se tenir au courant.

- Je ne les écoute jamais et je suis quand-même au courant de ce qui se passe. Une fois par jour, j’ouvre Internet et ça me suffit.

- Moi, j’ai besoin de la radio et de la télé pour me tenir compagnie.

- Tu pourrais aussi écouter de la musique… mais si tu préfères te polluer et te rendre malade avec les mauvaises nouvelles, tant pis ! C’est ton choix. C’est ce que je disais tout à l’heure ; tout est une question de choix. Et je ne vous parle pas de choix karmique ; je sais que vous n’y croyez pas vraiment.

Il y a un échange de regards perplexes dans l’assistance. Sophie les dévisage tour à tour avant de poursuivre :

- Vous êtes toujours en train de vous plaindre et d’envier les autres, ceux qui vont bien. Pour vous, on dirait que ce n’est pas normal. C’est suspect. A cause de ça, depuis un moment, je me sens en porte-à-faux. Excusez-moi, mais j’ai un peu l’impression que ça va nous porter la poisse !

Sophie hoche la tête :

- C’est vrai qu’Anne et moi, nous avons de la chance…

Elle ne peut qu’en convenir. Elle en remercie d’ailleurs la Providence chaque fois qu’elle le peut !

- Mais bon, vous oubliez aussi les inconvénients de notre situation ! Notre société est très normative, et ce n’est pas toujours confortable d’être marginal. Même si nous l’avons choisi, il nous arrive d’en être victime et d’en souffrir.

Sophie s’arrête, à la recherche d’un trait d’humour susceptible d’alléger l’atmosphère :

- Regardez, mise à part toi, Agnès, quand il y a une panne à la maison, vos maris peuvent s’en occuper ! Je ne vous parle pas de la panne de voiture : en tant que femme seule, on ne peut pas dire que les garagistes te prennent au sérieux, quand encore ils ne cherchent pas à t’arnaquer !... Et par ailleurs, sentimentalement, quand vous avez envie d’un câlin, vous avez ce qu’il faut sous la main ! C’est cool, non ?

Avec un sourire hésitant, Sophie enveloppe ses amies d’un regard tranquille.

- Oui, je suis convaincue que tout est une question de choix, conclut-elle. Et aussi qu’il est toujours temps de corriger, de dire stop quand ce que l’on vit ne nous convient plus. Alors peut-être qu'avec Anne, grosso modo, on fait les bon choix.

Cette fois, elle pense avoir tout dit et se tait. Elle a réussi à exprimer son ressenti, à leur dire pourquoi elle ne se sent plus en phase, pourquoi elle n'arrive plus à les plaindre. Elle est soulagée. Elle ne leur en veut pas. Elle n’est pas en colère. Elle est satisfaite d’avoir délivré son message, mais se désole de ne lire que de l’incrédulité dans les yeux de ses amies.

Alors elle soupire, hausse les épaules et secoue la tête :

- Je crois que vous ne pouvez pas comprendre, murmure-t-elle.

Un long silence s’installe. Pesant. A la limite du supportable. Sophie a-t-elle précipité la fin de leur amitié commune ? Elle s’en voudrait, mais en même temps, elle ne regrette rien. Elle a dit ce qu’elle devait dire.

Et soudain, une petit voix s’élève, mal assurée, mais parfaitement audible :

- Si. Je commence à comprendre.

Tous les regards convergent vers Florence, tapie dans le recoin le plus obscur de la salle, presqu’invisible. Noir sur noir… Elle se redresse, offre son visage à la lueur d’une applique. Son regard sombre, toujours un peu triste, mais tranquille et imperturbable, capture les prunelles interrogatives de Sophie :

- J’ai quitté Philippe, annonce-t-elle.

Après quelques secondes de stupéfaction, une explosion de joie salue la nouvelle. Florence ne peut s’empêcher d’en rire.

Sophie saute au cou de son amie :

- Quand ? Quand est-ce que tu l’as quitté ?

- Tout à l’heure. J’ai profité qu’ils étaient tous partis pour le week-end. J’ai rempli ma voiture. Tout est là, dehors. Tout ce à quoi je tiens.

Les quatre amies se regardent, partagées entre la joie et la stupeur. Pour être une bonne nouvelle, c’en est une, mais qui soulève une tonne d’interrogations :

- Et tu vas aller où ?

Florence baisse la tête, hésite :

- Ben… Je comptais un peu sur vous pour trouver une solution provisoire, avoue-t-elle. Au pire, je pourrais aller à l’hôtel.

La proposition soulève une salve de protestations, sincères ou polies :

- Tu rigoles ? objecte Sophie. Tu vas venir chez nous ! On a une chambre libre. Comme ça, tu pourras voir venir. Et si tu veux, on retourne chez toi, s’assurer que tu n’as rien oublié !

Elles s’embrassent tandis que Florence laisse filer quelques larmes de bonheur et de soulagement.

- Merci…

- C’est normal. Je me sens un peu responsable de toi, après tout ce que je t’ai dit. Je suis heureuse que tu ais fait le bon choix…

- Le bon choix ?

Le regard et la voix de Florence trahissent encore quelques doutes. Rien de plus normal, au seuil du grand saut !

Sophie lui étreint la main avec puissance et conviction :

- Tu t’es choisie. Tu as décidé de t’aimer et de te faire du bien. C’est ça, le bon choix.

St Genis, le 27 juillet 2016

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30 avril 2016 6 30 /04 /avril /2016 16:24
Je fais un rêve (nouvelle)

Je fais un rêve…

Une nouvelle de Frédérique Longville

C’est désormais avec un immense plaisir que j’arpente les rues de mon village et je ne suis pas la seule ! Ce matin, sur la place du marché, les gens semblent sous le charme. Ils sont souriants, détendus. Clients et commerçants échangent des plaisanteries ; des rires fusent ici et là. Des petits groupes conversent avec animation. Les marchands sont de plus en plus nombreux ; rien à voir avec ce que nous avons connu par le passé ! On voit qu’ils ont plaisir à venir s’installer sur cette charmante petite place, à l’ombre généreuse des platanes. Aujourd’hui, notre marché ressemble à un vrai marché. Certes, il n’y en a plus qu’un par semaine, mais à défaut de quantité, nous avons nettement gagné en qualité. Cela ravit tout le monde.

Dans le jardin public jouxtant la place, il est enfin possible de profiter d’une halte sympathique sous le grand mûrier où quelques bancs ont été installés, comme dans plusieurs endroits stratégiques du village. La municipalité précédente avait toujours rechigné, prétextant que les jeunes allaient venir y faire le bazar, privant le reste de la population de ce petit plaisir tout simple. Oh, il a bien fallu se battre un peu au début pour que les usagers, respectent la propreté du site en dépit des poubelles régulièrement vidées ; un garde municipal a été affecté à la surveillance des lieux sensibles, assumant un rôle essentiellement pédagogique, sanctionnant parfois, et peu à peu, tout est rentré dans l’ordre !

Concernant la propreté, il faut préciser que la situation s’est améliorée partout, et pas seulement au village ; c’est d’ailleurs ce qui est particulièrement réjouissant ! Le nouveau gouvernement a mis en place un système génial : réinstaurer et généraliser les consignes. Bon d’accord, il ne l’a pas inventé et la pratique fait ses preuves depuis longtemps dans certains pays, notamment en Norvège. Mais le faire adopter en France, ça n’était pas gagné. Désormais, tout est consigné : le verre, le carton, les canettes, tout ! Et maintenant, les gens se battent pour ramasser les déchets, ce qui leur permet de récupérer un peu d’argent en les rapportant aux points de collecte spécialisés. En plus, ce système a généré des emplois ; que peut-on souhaiter de mieux ?

Quand je pense qu’il y a quelques années, les communautés de communes avaient aménagé les déchèteries pour pouvoir faire payer les usagers ! De nombreuses voix s’étaient élevées contre cette initiative en prédisant la recrudescence des décharges sauvages, mais l’appât du gain est toujours plus fort. Ils l’ont donc fait, pour finalement faire marche arrière lorsqu’il s’est avéré que les gens jetaient leurs encombrants dans la nature, avec tous les problèmes sanitaires qui pouvaient s’en suivre. Les installations coûteuses sont devenues obsolètes ! Encore une gestion lamentable qui a causé beaucoup de tort.

Enfin, le principal aujourd’hui, c’est que le gouvernement ait pris la situation au sérieux et que tout se soit normalisé. Je ne dis pas qu’il n’y a plus de décharge sauvage, mais ça s’améliore de jour en jour. C’est merveilleux, non ?

Tout comme le village, le pays se redresse. Aujourd’hui, le plus dur semble être derrière nous. Nous avons connu des jours difficiles, ici comme ailleurs, même si, bien évidemment, c’est dans les grandes villes que la population a le plus souffert ; à la campagne, il est toujours plus facile de se débrouiller. Après des années et des années de dégradation à tous les niveaux - l’enseignement, la médecine, la justice, et j’en passe ! -, la population s’est enfin rebellée ! Personne n’y croyait plus. Tout le monde pensait que les gens, hypnotisés par les écrans de toutes sortes, gavés de fausses informations et maintenus dans la peur grâce aux médias, abreuvés de plaisirs superficiels pour leur faire oublier tout le reste, étaient totalement anesthésiés, prêts à tout accepter, du moment qu’ils pouvaient avoir accès à une technologie toujours plus performante, plus sophistiquée.

Un nouveau « Mai 68 » semblait tout à fait improbable. Et pourtant, cela arriva ; et ce fut même pire ! De longs mois d’émeutes, des milliers d’arrestations, des blessés, - et aussi des morts- ; plus d’essence, le pays totalement paralysé avec des difficultés de ravitaillement, des licenciements et un pic record du chômage. Du jamais vu. Pourtant les gens ont tenu bon. Ils sont allés au bout de leurs forces, de leurs convictions, de leur désespoir et de leurs espoirs.

Et ils ont gagné.

Le gouvernement a cédé. Le Président a démissionné. Avant le début des hostilités, sa côte de popularité était tombée sous la barre des dix pour cent ; celle du premier ministre ne valait guère mieux. La population avait fini par réaliser qu’insidieusement, la dictature se mettait en place. Les libertés individuelles toujours restreintes à la faveur d’un état d’urgence sans cesse reconduit, les interdits, le flicage, les mises sur écoutes illégales, les arrestations abusives au prétexte fallacieux de protéger les gens, les obligations de tout ordre portant atteinte à la vie privée, vaccinations, dépistages divers et variés, les abattages massifs dans les élevages par mesure de sécurité, tout cela avait fini par mettre le feu aux poudres.

Le peuple avait enfin compris qu’on lui mentait. Personne ne voulait son bien, aucun parti, de droite ni de gauche. Plus aucun homme politique n’inspirait confiance. Tous avides de pouvoir et d’argent, quels qu’ils soient. Déjà, depuis longtemps, les gens boycottaient tous les types d’élections, s’abstenant ou votant blanc, quitte à favoriser l’émergence des votes extrémistes, comme s’ils n’avaient plus rien à perdre. Mais là, c’est tout le système qu’ils rejetaient en bloc.

Ils exigeaient que tout soit repensé, en ramenant l’Humain et l’ensemble du Vivant au cœur du problème. Une vraie révolution.

Avec le départ du Président et de sa clique, l’euphorie s’est emparée du peuple. L’opposition a bien tenté de récupérer la situation, mais plus rien en pouvait arrêter la fronde. Tous les prétendants avaient déjà plus ou moins fait leurs preuves ; plus aucun ne correspondait aux attentes du peuple. Nous avons connu une longue période de chaos et progressivement, les leaders de la révolte ont mis en place un nouvel exécutif. Une sorte de gouvernement collégial, constitué d’hommes et de femmes de bonne volonté, dont la seule motivation était le bien de leurs concitoyens. Le président du sénat qui assurait l’intérim de la présidence a tout de suite compris qu’il avait intérêt à les suivre. Le calme est revenu. La France s’est remise au travail et l’année suivante, nous avons élu la personne qui, enfin, nous correspondait. Compétente, sans être énarque, ni de droite, ni de gauche. C’était une femme.

Cette fois, tout le monde y croyait. Nous avons tous redressé nos manches et ça a marché.

Le plus beau, c’est que nous avons réussi à contaminer nos voisins européens. Les uns après les autres, les peuples se sont enflammés pour exiger de leurs gouvernements la prise en compte de leurs besoins et de ceux de cette planète qui n’en peut plus. Ils se sont élevés contre la tyrannie du pouvoir, de l’argent tout puissant, de la mondialisation et du diktat des pays civilisés sur les puissances émergentes, des riches sur les pauvres. Ils se sont rebellés pour que cesse le pillage, l’exploitation des peuples et des richesses de la planète au profit d’une minorité de nantis arrogants.

Après de longs mois de chaos, lorsque le calme est revenu, les pouvoirs en place furent bien obligés de tenir compte de la puissance du peuple. Désormais, ils savaient que les gens ne se laisseraient plus manipuler. Plus personne ne tenait à ce que ça recommence. Le Nouvel Ordre Mondial, les gentils robots humains, il fallait oublier.

A ce moment là de la crise, beaucoup réclamaient un « Franxit », la sortie de la zone euro pour la France. Mais le gouvernement et la majeure partie de l’opinion populaire s’y est opposée. En revanche, la création de monnaies locales a été grandement encouragée. Ainsi, nous, dans le secteur des Albères, nous avons instauré la « Pépette » (un peu d’humour, en tant de crise, ça ne peut pas nuire !). C’est une monnaie « fondante » - inutile de thésauriser ; il faut la dépenser avant qu’elle ne perde de sa valeur !-, avec ristourne de conversion et bonus à l’achat ; elle nous a permis de créer des emplois, de relancer l’économie locale et de financer des projets, comme celui de la nouvelle crèche. Grisant, cette sensation de reprendre enfin le pouvoir, de redevenir maître de son destin !

Comme partout en France, ici, au village, nous avons réussi à faire évoluer les choses. Quel chemin parcouru en quelques années ! Les rues et les trottoirs ont été réhabilités, sécurisés, en laissant la part belle aux piétons et aux cyclistes. Même le chemin de la scierie (pas Syrie !) a été bitumé, et jusqu’au cimetière qui s’est refait une beauté ! Nos chers disparus le méritent bien.

Désormais, une navette gratuite est à la disposition des habitants ; c’est un atout majeur pour les personnes sans voiture. Plusieurs structures d’accueil ont été crées, pour les jeunes, pour les anciens, et même pour les « SDF ». Après bien des difficultés, on a réussi à recruter deux docteurs pour le cabinet médical ; il y a même un homéopathe ! Avec notre ostéopathe, déjà installée depuis quelques années, les médecines alternatives ont un bel avenir sur la commune. Nous avons désormais une résidence pour nos « séniors » - je n’aime pas dire EPAHD, ça fait maladie !- pas très grande, à échelle humaine. Les nouveaux logements sociaux sont en train de sortir de terre, et pas en zone inondable ! Il faut dire qu’aujourd’hui, les préfets sont intraitables sur la question. Il y a eu tellement de catastrophes…

Sur le plan sanitaire, nous progressons sans cesse : la ligne à haute tension qui traverse le village a été enterrée et les antennes-relais ont enfin été déplacées à l’écart de toute habitation. Mais il aura tout de même fallu trois décès, dont celui d’un enfant, pour en arriver là ; sans parler de tous ceux qui en sont encore malades aujourd’hui.

Appliquant enfin le principe de précaution, et sous la pression des habitants, la municipalité, comme dans la majorité des communes françaises a refusé l’installation des compteurs communicants « Linky » ou « Gazpar ».

A l’image du pays, bien engagé dans le processus de sortie du nucléaire, la commune s’implique à fond dans la transition énergétique : réticente vis-à-vis des éoliennes, elle s’est dotée d’une importante ferme photovoltaïque. Une aubaine pour notre berger qui peut y faire paître son troupeau et pour l’horticulteur qui prévoit de s’y installer.

Pour finir, importunés par les odeurs de la station d’épuration les jours de tramontane, les habitants du nord du village ont exigé que l’on se penche sérieusement sur le problème. L’ancien système a donc été remplacé par une Rhizosphère, une station d’épuration à lits plantés de roseaux, sans aucune nuisance olfactive, pour ne donner que cet avantage. Là, on a parlé de nous dans l’Indépendant ! L’inauguration a fait grand bruit dans tout le département. Sûr que d’autres vont nous suivre…

Le village revit. Les commerces reviennent s’installer ici et ceux de la périphérie commencent à péricliter. Les gens préfèrent l’ambiance du cœur du village ; c’est plus convivial, plus agréable que cette zone commerciale impersonnelle. Ici, on trouve des produits locaux, souvent bio, rien que de la qualité, et ce n’est pas forcément plus cher que ce qui est vendu en supermarché. L’environnement est beau, il y a des fleurs partout, des jardinières où les riverains font pousser des plantes aromatiques, parfois des légumes, des fraises ou des framboises, pour le plaisir de tous. C’est gai, on se sent bien.

La municipalité a aménagé de nouveaux parkings, c’est facile de se garer, même en pleine saison, lorsque les touristes affluent pour venir admirer l’église, le cloître et le linteau roman, notre fierté. Ça coince juste un peu les jours de fêtes… Là, il faut parfois aller se garer du côté de la salle polyvalente, mais ce n’est pas si loin, et tellement plaisant en empruntant le charmant sentier piétonnier qui la relie au centre du bourg. Le comité des fêtes est dynamique et le village a acquis une belle notoriété dans ce domaine. Au festival lyrique se sont rajoutées plusieurs prestations très prisées du public, des concerts, des soirées folkloriques, -toutes sortes de folklore, pas seulement des sardanes !...-. Dans la périphérie du cloître, la galerie d’art attire beaucoup d’artistes, surtout depuis l’installation discrète d’un ascenseur qui la rend accessible à tous ; elle ne désemplit pas. Mais il n’y a pas que les peintres et les sculpteurs qui se plaisent ici ; les écrivains aussi. Les nouveaux libraires ne s’y sont pas trompés. Tout le mois d’avril est consacré aux écrivains locaux qui viennent à tour de rôle présenter et dédicacer leurs ouvrages, avec un point d’orgue pour la Sant Jordi, évidemment. Une rose, un livre… Un livre, une rose…

Ah ! Qu’on est bien chez nous !

Tiens, qu’est-ce qu’il a à aboyer, ce chien ?...

Je me réveille en sursaut ; c’est le chien de la voisine qui veut rentrer. Oh non, Doodoo, franchement, ce n’était pas le moment ! C’était trop bien…

Mais alors ? Tout ça, c’était un rêve ?

Ah… Difficile de ne pas être déçue !...

Pourtant, curieusement, ce rêve me remplit d’énergie.

Parce que, dites-moi, il y a bien des rêves qui se réalisent, non ?

Dépôt Copyright-France le 30 Avril 2016, n°7YNA1GA

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25 août 2015 2 25 /08 /août /2015 17:09
"Compagnon du bonheur", nouvelle

Cela fait des jours, plusieurs semaines déjà, qu’elle revit en boucle ce jour tragique où elle a dû prendre la décision la plus difficile de sa vie, celle de se séparer définitivement de son petit compagnon.

Brusquement, son état s’était dégradé. Oh, il faisait de son mieux pour donner le change, lui témoigner encore sa volonté de vivre, son amour inconditionnel, mais elle voyait bien que c’était la fin, qu’il n’en pouvait plus et que l’inéluctable était à l’œuvre. Simplement, comme toujours, il ne voulait pas l’inquiéter, lui faire de peine, il « assurait » pour lui faire plaisir. Quel courage !

Alors qu’elle déjeunait sans appétit, tourmentée par sa faiblesse et encore indécise, vacillant sur ses pattes, titubant, il était venu quémander une ou deux miettes de pain, avant de s’affaisser, à bout. Le moment était-il venu ? Pouvait-elle vraiment faire ça, « lui » faire ça, le trahir de la pire façon, en décidant arbitrairement que c’en était assez. Etait-ce son souhait, à lui ? Voulait-il en finir ? Comment savoir ?

La vétérinaire avait été parfaite, douce, compréhensive. « Vous savez, les animaux ont cette chance, eux ; on peut les aider à partir » avait-elle murmuré en lui adressant un regard rassurant et bienveillant. Une façon de valider sa décision, de lui signifier qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Elle avait accepté d’intervenir dans la voiture, garée à l’ombre d’un petit olivier dont l’ombre providentielle atténuait les ardeurs du soleil de juin. C’était mieux que dans cette clinique froide et impersonnelle qu’il détestait tant, où il avait toujours eu si peur. Cette voiture était sa deuxième maison. Toujours prêt à grimper à bord pour partir à l’aventure !

Il n’avait pas eu l’ombre d’une crainte ; il n’avait pas bronché. En quelques secondes, tout était fini ; il était parti très vite. Avait-il réalisé ce qui se passait ? Etait-il soulagé ? S’était-il senti trahi ? Avait-il compris qu’elle avait accompli à son égard l’acte d’amour le plus éprouvant qui soit ?

Un dernier baiser sur la truffe, une dernière caresse sur son corps apaisé, et il avait été emporté loin d’elle. Huit jours plus tard, elle avait récupéré ses cendres.

C’est désormais tout ce qui reste de son existence terrestre, de ces douze années de bonheur et d’émerveillement partagés. Une parenthèse magique s’est refermée. En dépit des photographies, d’une multitude de souvenirs précis, drôles, émouvants, et même, exceptionnellement, terrifiants, elle a parfois l’impression d’avoir rêvé cette belle aventure, ce cadeau du ciel, splendide et éphémère, comme la vie.

Irréel, et non moins douloureux. Cruel.

Elle a beau tenter de se consoler en se disant qu’il ne souffre plus, que son âme est libérée, le vide est immense. Jamais elle n’aurait pensé souffrir autant. Le manque est permanent. Elle s’attend à le voir partout. Or il n’est plus nulle part.

Elle ne s’habitue pas.

Seuls ceux qui sont déjà passés par là peuvent comprendre. Ceux qui ont vécu avec un chien ou tout autre animal une relation forte, portée par un amour réciproque, authentique, et désintéressé ; et qui plus est, une relation égalitaire car jamais elle ne l’a considéré comme son inférieur. Il avait besoin d’elle ; elle était responsable de son bien-être. Et elle avait autant de respect pour lui que pour n’importe quel être vivant, humain ou non.

Elle qui a déjà vécu la douleur d’une séparation définitive, découvre qu’il n’y a pas de hiérarchie dans la mort quand on aime. Elle souffre.

Elle est en deuil.

Un deuil souvent mésestimé.

Elle entend parfois des stupidités : « Ah, te voilà libre, maintenant ! Tu vas pouvoir voyager ! ». Oui, c’est vrai, depuis qu’il était entré dans sa vie, elle avait renoncé à prendre l’avion et à tous les endroits interdits aux chiens, de plus en plus nombreux. Pas question de le confier à un chenil pour voyager sans lui, ne serait-ce qu’une seule journée. Elle avait accepté ces contraintes sans regret. Ce n’était pas un sacrifice. Elle l’aimait, c’était normal. De toute façon, elle n’avait personne pour le garder. Elle avait donc décidé qu’il irait partout où elle irait ; et s’il ne pouvait pas y aller, elle n’irait pas ! Simple comme bonjour. Stupide pour certains, mais elle n’en avait que faire.

Elle s’était bien sûr autorisée occasionnellement des sorties de quelques heures sans lui ; mais l’un dans l’autre, elle s’en était tenue à sa décision. Il l’avait accompagnée (presque) partout, dans toutes ses passions : en voyage, en randonnée, à la mer, à la neige, en vélo, en bateau, en pédalo, en télésiège, en téléphérique. Ils étaient indissociables. Il était de toutes les fêtes, de toutes les réjouissances et elle avait tiré un trait sur ceux qui ne voulaient pas de lui. Mais ce n’était arrivé qu’une seule fois, Dieu merci !

Autour d’elle, il y a ceux qui ne parlent plus jamais de lui, comme s’il n’avait jamais existé. Par tact ? Par gêne ? Ont-ils peur de lui faire du mal ? S’ils savaient comme elle a besoin de parler de lui ! Reconnaître sa douleur est la meilleure façon de l’aider à l’exprimer. Mais ils évitent soigneusement le sujet. Certains remarquent son absence, disent que « ça fait bizarre ». Elle acquiesce en soupirant, une boule douloureuse dans la gorge. Pourtant, elle préfère ça au silence. C’est comme s’ils prenaient à leur compte un peu de sa peine. Elle en est pleine de gratitude.

D’autres veulent savoir si elle va le « remplacer ». Comme une vieille casserole, un gilet troué ou une chaise cassée. Le remplacer. Tout a fait significatif de cette société ultra matérialiste qui n’accorde aux animaux guère plus d’importance qu’aux meubles. Non, pour elle, un chien, un animal, ne se remplace pas ; au mieux, on lui trouve un successeur. Mais pour sa part, elle ne cherchera même pas. Elle ne veut pas.

Elle ne veut pas un chien ; elle veut son chien ! Elle veut celui qui saluait chacun de ses retours en se trémoussant de joie et en haletant de soulagement, la couvrant de lichettes désordonnées, lui mordillant amoureusement les poignets, et enfouissant son museau sous son bras pour accueillir ses caresses… Celui qui se livrait sans retenue à des simulacres de combat, facétieux, joyeux, espiègle et vaillant. Mais aussi « bêtiseux », voleur et râleur invétéré ! Un vrai mousquetaire : bon cœur et mauvais caractère. Celui qui manifestait sa joie en se contorsionnant les quatre fers en l’air, dans l’herbe, le sable, sur le lit ou sur le canapé. Mal élevé ? Peut-être ; on s’en fiche !

C’est lui qui lui manque et qu’elle veut. Pas un autre ! Même si elle sait qu’elle saurait l’aimer ; elle n’en veut pas. C’est tout.

Une chose est sûre : elle a fini d’avoir peur. Peur d’avoir un accident, de ne plus être en mesure de s’en occuper et de le voir finir ses jours dans un chenil. Peur qu’il se perde, qu’il soit volé, attaqué par un autre chien ou qu’on lui fasse du mal gratuitement ; il y a encore tant de barbarie dans le monde vis-à-vis des plus faibles. Il y avait en elle un souci permanent de le protéger. Au moins aujourd’hui, la voilà soulagée : il ne risque plus rien.

Et ce n’est pas tout : fini aussi de se battre contre les vaccinations néfastes et inutiles, tous ces poisons administrés à titre de « protection »… Un marché comme un autre, en fait, comme celui de la nourriture industrielle, croquettes, boîtes, et compagnie. Non, plus question de repasser par là.

Reste à gérer l’absence, le manque physique ; et tout le problème est là. Ne plus pouvoir le voir, le toucher, le caresser, le sentir… Ses sens sont en manque de lui.

Pourtant, elle sait qu’il est là et que son âme l’accompagnera jusqu’à son dernier souffle, se moquant désormais de tous les interdits, de toutes les discriminations.

Il est partout où la vie palpite, gambadant librement dans les prairies fleuries, se roulant avec délice dans les bouses de vache odorantes, pataugeant dans les torrents bavards, ou escaladant les rochers escarpés.

Il est en elle, autour d’elle ; il est l’oiseau qui vocalise, le papillon qui voltige et le cheval qui détale au galop. Il est partout.

Elle n’oubliera jamais. Un jour, elle souffrira moins, sans doute.

Peut-être.

La page est tournée.

Mais quel beau livre ils ont écrit ensemble !

Fredo

(et merci à Jean Luc pour l'idée du titre, et à Andrée pour avoir été à nos côtés... )

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28 décembre 2014 7 28 /12 /décembre /2014 18:15

 

Ça y est, il pleut et qui dit pluie dit hyper activité. A défaut de sortir autant tirer profit de ces moments de confinement pour mettre à jour tout ce que j'ai remis au lendemain depuis pas mal de temps.

 

J'étais donc entrain de récurer le sol, à genoux sur le lino, tout en poussant la chansonnette : « un jour mon Prince viendra, un jour il me dira aaaa ! », quand une pétarade a interrompu mes vocalises.

 

Un motard passe lentement devant la maison, revient sur ses pas pour un second puis un troisième passage, avant de stopper à la hauteur du portail.

 

D'où je suis je peux voir sans être vue.

 

La moto est d'enfer et le motard semble avoir fier allure. Grand, plutôt charpenté, pas l'ombre d'une bedaine !

 

Un prince ?!

 

Je le regarde tomber le casque.

 

Une barbe de 3, 4 jours à la Clooney, des cheveux poivre et sel. Pas mal !

 

Il ôte ses gants dévoilant des mains aux longs doigts. Belle allure !

 

Sans descendre de sa moto, il cherche des yeux la boîte à lettres dévoilant progressivement son visage.

 

Mais ! je le connais ce type. Chevalier !

 

Il y a bonne vingtaine d'années que nous nous sommes perdus de vue mais il n'a pas vraiment changé. A l'époque il ne portait pas de lunettes mais cela lui va plutôt bien cette monture à la St Laurent. Séduisant !

 

Toujours à genoux, je me ratatine. Un des fantasmes de ma quarantaine rayonnante est à ma porte et je suis là, nus pieds, en tee shirt tir-bouchonné, les mains embaumant la lessive St Marc. De quoi vais-je avoir l'air ? Une plouc !

 

Je commence une savante marche arrière pour gagner la salle d'eau et me vêtir plus élégamment. Dans la salle, le chien du haut de son perchoir vient de se redresser, il gronde. Tout en me tortillant j'enfile un jean, un œil rivé sur la rue. Chevalier, descendu de la moto, s'achemine vers la porte. C'est drôle, je le voyais plus grand !

 

Il va sonner et je me bats avec cette fichue fermeture éclair qui bloque quand un vacarme épouvantable éclate. Hors de lui, le chien a quitté son poste d'observation pour se ruer sur le portail, flanquant à Chevalier la trouille de sa vie.

 

Enfin présentable, je me précipite sur mon fauve pour aller ouvrir à ce visiteur inattendu.

 

- « Bonjour, tu m'reconnais ? »

 

- « Chevalier, Philippe Chevalier ?! »

 

- « Pour te servir. »

 

- « Entre ! Pour une surprise, c'en est une ! »

 

Je m'efface pour le laisser me précéder dans la maison, puis portail refermé je lâche le chien qui joyeusement se précipite sur le visiteur.

 

La réaction de Chevalier me fait sourire, manifestement les chiens, c'est pas son truc !

 

Troublée, je pénètre à sa suite dans la maison.

 

Quelques minutes plus tard, Philippe Chevalier, a investi les lieux. Je suis sous le charme, tout semble à son goût, absolument tout, mis à part le chien évidemment !

 

Un jour mon prince viendra ! Il est re-venu !

 

Les minutes s'écoulent, fier de sa réussite, Philippe raconte, se raconte. Une petite heure plus tard, histoire de rompre le monologue qui s'est installé, je lui propose un petit quelque chose à boire, à grignoter. La proposition ayant remporté un franc succès, nous sommes en pleines agapes lorsque le téléphone sonne, j'écourte la conversation non sans avoir dévoilé à mon interlocutrice, une vieille copine, l'identité de celui qui vient de réapparaître dans ma vie …

 

 

 

Une quinzaine de jours a passé, je sors de la librairie lorsque déboule sur moi une silhouette dégingandée.

 

- « Alors, trop occupée pour me téléphoner ? »

 

- « Tu ne crois pas si bien dire. »

 

- « Allez, raconte … Chevalier ?! »

 

- « Chevalier ? Chevalier, pfut ! »

 

- « Quoi, pfut ? Il est où ? »

 

- « Parti ! »

 

- « Parti ?, tu l'as laissé partir ? Mais je croyais que c'était l'homme de ta vie ? »

 

- « C'était, ma vieille, c'était ! Il n'est pas parti, je l'ai fait partir !»

 

- « Va falloir que tu m'expliques, parce que j'aimerais bien comprendre. »

 

- « On se fait un petit resto ce soir et je te dirais tout ! La Botiga, ça te va ? »

 

 

 

La Botiga est un petit restaurant sympa, sans chichi. La carte est réduite à minima et le plat du jour sent toujours bon la cuisine de grand-mère, c'est le rendez-vous des vieux babas du coin. Arrivée la première j'étaisentrain de siroter un petit verre quand ma copine fit son entrée. Elle n'étaitpas installée que je subissaisun feu nourri de questions.

 

Pourquoi ? Comment ? Qu'est-ce qui t'a pris ?

 

Savourant les dernières gorgées de mon kir catalan je la laisselanterner avant de lui déballer le petit discours que j'aipréparé à son intention dans le but d'en finir et de profiter de l'ollade de José.

 

- «  Tu veux savoir ?, c'est simple ! Déjà, j'ai pas vocation à être infirmière. Chevalier a peut-être de beaux restes mais il a mal partout ! Des vertèbres dans le désordre, les colonnes du Parthénon à côté c'est de la rigolade, un ou deux bridges en cours, une cataracte naissante et c'est pas tout ! Il est plein de tics, de tocs et moi le manies, la routine, merci !!! Ses placements, sa super GoldWing je m'en contrefiche !   Ne lui parle pas de beurre, son cholestérol fait des bonds rien qu'à la vue d'une motte. Par contre, il aime la viande, rouge en plus, là, je comprends pas trop mais c'est pas le pire ! »  

 

- « … ! »

 

- «  Déjà, il ronfle comme un sonneur, pique toute la place dans le lit ... »

 

- «  Remarque c'est pas une nouveauté, y'avait aucune raison pour que cela ait changé ! non ? »

 

- «  Oui, j'te l'accorde, mais j'aime pas qu'on me mufle dans le nez ! »

 

- «  Et alors c'est pour cela que tu l'as largué ? »

 

- «  Non, pas que, il manquait l'essentiel ! »

 

- «  C'est à dire ? »

 

- «  Les petits câlins ! Lui c'est à heure fixe et moi ce que j'aime, c'est la sieste ... »

 

- «  Crapuleuse ! Hé hé ! »

 

- «  Voilà ! Et là de ce côté là, tintin. La sieste, il connaît mais c'est sacré, il   DORT ! »  

 

- «  Évidemment, c'est rédhibitoire. Donc exit Chevalier ! »  

 

- «  Voilà, je l'ai mis en état de choc en lui déballant tout ce que j'aimais. L'imprévu, la rusticité d'une nuit en refuge, le fromage qui pue sur une grosse tartine de beurre, les ébats aquatiques, la musique classique, le Rock et Strauss, Elton John et le Disco. Mais ce qui l'a achevé c'est quand je lui ai dit qu'en moto, je compensais dans les tournants ! Là il m'a regardé avec une condescendance méprisante et j'ai compris que je venais de regagner ma liberté ! »

 

- «  Si je comprends bien, la routine le sécurise ? »

 

- «  Oui, et moi, ça m'angoisse ! »

 

- «  Conclusion, le prince charmant est encore à venir ? »

 

- «  Non, j'ai fini d'y croire, ou alors ce sera dans une autre vie ! »

 

 

 Sur ce, nous avons attaqué l'ollade de José, commandé une crème brûlée à la cardamone et décidé de finir la soirée avec un bon film … sur Papy streaming ! Et oui, j'aime pas les petits bruits au ciné ! Moi aussi, j'ai mes contradictions !  

 

Do

 

 

 

 

 

 

 

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2 avril 2014 3 02 /04 /avril /2014 17:23

La maison Poulaga *

Acte 1

-« Dis donc Chouchou, t’as fait un casse ou quoi ? »

-« Pas encore mais j’y songe, j’y songe ! »

-« Non, mais sans blague, elle te veut quoi la Gendarmerie ? »

-« Pourquoi tu m’demandes ça ? »

-« T’as pas regardé le courrier ?!  »

-« Non, enfin j’ai vu qu’il y avait le matériel électoral, de la pub ! »

-« Pas seulement, il y a une lettre aussi ! »

-« Ouvre-là ! »

Subitement un grand silence se fit !

Intriguée Michèle Brisson se porta aux côtés de son mari. Avachi dans un fauteuil, il semblait plongé dans un abîme de perplexité.

-« Qu’est-ce qu’il y a, c’est grave ? »

-« Non, enfin, je sais pas. Lis ! »

Michèle attrapa la lettre et parcouru le texte des yeux, incrédule.

Vous êtes priés de bien vouloir vous présenter à la gendarmerie pour affaire vous concernant.

Quelle affaire pouvait bien la concerner ? A sa connaissance elle n’avait pas commis d’infraction sur la route, n’avait eu maille à partir avec qui que ce soit ! Elle n’avait même pas une phrase de travers avec un parent d’élève ! Non, elle ne voyait pas !

Attrapant le téléphone elle composa le numéro de la gendarmerie du village et tomba bien évidemment sur le répondeur automatique : « Ici gendarmerie de St Eutrope, veuillez ne pas quitter, nous allons prendre votre appel ! »

Elle allait raccrocher après la troisième annonce quand, miracle, une voix féminine se fit entendre au bout du fil.

Michèle entrepris d’exposer ce qui motivait son appel quand la gendarmette l’arrêta net. En effet, elle était attendue à la gendarmerie et le plus rapidement possible !

Un grand froid pénétra Michèle qui tenta malgré tout d’en savoir un peu plus.

D’un ton sec, son interlocutrice mit fin à la conversation, lui précisant simplement qu’elle n’avait pas à répondre à ce type de question par téléphone. Michèle se devait juste de répondre à la convocation dans les plus brefs délais. 

La soirée s’annonçait difficile, Michèle avait beau tenter de mettre en pratique les conseils de vie glanés ici ou là, vivre le moment présent sans se projeter à demain semblait chose impossible !

Pourtant le hasard faisant bien les choses, une visite surprise leur permit de faire de cette soirée un moment de détente. Michèle se coucha guillerette, peut-être un peu pompette, rassurée par les propos de leur visiteur. Ancien greffier en chef, Pierre Vasseur pouvait se féliciter d’avoir efficacement réussi à dédramatiser la situation.

Néanmoins, le lendemain matin, dès l’ouverture des bureaux, Michèle et Paul Brisson se présentaient devant le portail sécurisé de la gendarmerie. Après avoir expliqué les motifs de leur présence dans l’interphone, un gendarme déverrouilla le portail puis les pria de patienter un instant dans le hall. Une gendarmette, à coup sûr celle que Michèle avait eu la veille au téléphone, déboula à son tour dans la pièce. Un bonjour de convention puis une invitation à la suivre et elle était déjà repartie. Michèle et Paul venaient de lui emboîter le pas quand la femme se retourna et signifia à Paul que l’entretien ne concernait que sa femme !

Médusé, il les regarda s’éloigner ne sachant quelle contenance adopter.

Il regagna le hall, pas vraiment folichon. Un banc rustique et inconfortable, aucune plante, juste un affichage austère composé d’appels à témoins pour des disparitions, un « comptoir » et sur le mur derrière lui, une glace. Machinalement, Paul s’en approcha et à l’instant même où son regard se portait sur sa personne, une idée loufoque, mais l’était-elle ?, s’imposa à lui.

Et s’il s’agissait d’une glace sans tain ?

Après tout, vu l’accueil, on pouvait s’attendre à tout !

Une porte claquée à la volée le fit se retourner, le gendarme qui les avait introduits dans la gendarmerie, le dévisageait interloqué une tasse de café à la main.

-« Vous désirez ? »

-« Moi, rien ! j’attends ma femme »

-« Ah ! »

La conversation s’arrêta sur cet échange décoiffant.

Une attente interminable commença puis Paul vit soudainement reparaître la gendarmette, suivie de Michèle. Si sa première pensée fut de se dire que la tenue vestimentaire féminine dans la maréchaussée n’était pas seyante, entendre l’adjudant intimer à sa femme l’ordre de se tenir à disposition de la justice le ramena à la réalité.

Sans dire un mot, Michèle quitta les lieux, gagna leur voiture et toujours mutique, se laissa reconduire jusqu’à leur domicile avant d’entamer le récit des moments incroyables qu’elle venait de vivre.

Acte 2

Trois jours auparavant, Michèle était partie faire une balade avec leur chien Socrate, bien décidée à rapporter de quoi agrémenter l’omelette aux asperges qu’elle projetait de faire le soir. En début de promenade, des aboiements l’avaient momentanément détournée de sa cueillette. Un quadrupède s’époumonait près d’un taillis. S’étant assurée de loin qu’il n’était pas attaché, elle avait repris sa promenade les yeux au raz du sol pour débusquer les asperges convoitées. Désireuse d’éviter un passage à gué, elle avait fini par se retrouver non loin du taillis où le même chien aboyait toujours, sans relâche. Bien que libre de ses mouvements, il ne décollait pas de l’abri des arbustes. A peine tentait-il quelques petites avancées dans sa direction avant de vite faire machine arrière. Intriguée, elle avait progressé légèrement dans sa direction accompagnée de Socrate qui s’était mis à aboyer à son tour. Comme par enchantement le chien avait quitté le bosquet pour venir retrouver son compère. Il s’agissait d’une jeune chienne, agréable accident de carrefour, à mi chemin entre le dalmatien et le labrador. Rassurée sur son sort, Michèle avait repris la route mais avait bien vite constaté, que partie en compagnie d’un chien elle revenait avec deux ! La bête, assoiffée, ne loupait pas une flaque mais trottinait ensuite pour revenir coller aux basques de Socrate. C’est dans cet équipage qu’elle avait regagné son quartier sous l’œil réprobateur de monsieur René, un voisin irascible, hostile à la gent canine.

Elle lui avait expliqué sa découverte et s’était empressée d’ajouter qu’elle  comptait, après l’avoir laissé se restaurer, confier la chienne au vétérinaire. La bête ayant investi le cabinet vétérinaire sans crainte, Michèle aurait pariée qu’elle n’était ni pucée ni tatouée ce qui allait sans doute compliquer les recherches mais ce n’était plus son problème, du moins le croyait-elle ! Elle avait relaté les circonstances qui avaient présidé à sa « trouvaille » et était rentrée chez elle, tranquille.

Le lendemain, un grand-père qui promenait son chien avait vu celui-ci échapper à sa vigilance. Lancer à la poursuite du fugueur, il l’avait retrouvé grattant furieusement dans des buissons. Une masse sombre affleurait, un sac maculé d’où s’échappait tout un fatras d’objets dont un portefeuille. Le vieux monsieur avait foncé chez lui pour alerter la gendarmerie qui avait à son tour fait diligence. Le sac appartenait à un jeune homme dont la disparition avait été signalée depuis quelques jours. Les gendarmes avaient alors sécurisé le coin puis mené leurs investigations dans le voisinage présentant à chacun une photo de l’inconnu où il figurait en compagnie d’un chien.

C’est ainsi qu’ils étaient remontés jusqu’à Michèle, monsieur René ayant fait partie du contingent de témoins potentiels !

A la gendarmerie, en découvrant les documents qu’on lui présentait, Michèle réalisa et reconnut qu’elle avait déjà vu le disparu faisant la manche devant le supermarché. Elle l’avait repéré en récupérant un caddy et son air débranché l’avait touchée. Ils avaient échangé quelques mots et n’ayant pas d’espèces sur elle, elle lui avait acheté puis remis de quoi manger !

Elle ne s’attendait pas à se faire insulter comme ce fut le cas lorsque le jeune homme compris son intention. Un attroupement s’était formé chacun y allant de ses commentaires et critiques.  

Acte 3

-« Bon, tu l’avais déjà vu, il t’avait insulté, il n’y a pas pour autant de quoi t’inculper ! »

-« Peut-être mais je suis leur seule piste. Et qui a trouvé son chien ? »

-« Tu ne savais pas que c’était le sien !? »

-« Et ça prouve quoi pour eux, hein ? Rien ! Ils ne sont pas obligés de me croire, d’ailleurs ils ne me croient pas ! »

Accablés, Michèle et Paul les yeux dans le vague, se taisaient quand le téléphone les fit sursauter. Pierre Vasseur, venait aux nouvelles !

Michèle reprit pour lui le récit de l’entretien, concluant d’un ton laconique qu’elle n’imaginait pas se fourrer dans un tel guêpier en reconnaissant devant la gendarmette avoir déjà vu le disparu ?!

Pierre commença par lui promette de faire jouer ses relations au moins pour tenter d’en savoir un peu plus sur l’affaire puis lui recommandant de ne rien changer à ses habitudes, en riant, il lui conseilla d’éviter dorénavant de jouer les bons samaritains.

Un peu rassérénée, Michèle tenta de se persuader qu’elle n’aurait sans doute plus de nouvelles de cette affaire. Erreur ! Un véhicule de la gendarmerie s’arrêta devant chez eux, deux jours plus tard. Priée, pour les besoins de l’enquête, de leur remettre ce qu’elle portait aux pieds le jour où elle avait trouvé le chien, elle se déchaussa sur le champ devant le gendarme un peu estomaqué. Il commença par hésiter, fixant ses pieds nus, hésitation qui la plongea soudainement dans une colère noire. Michèle pivota sur place et attrapant au vol un cabas, rageuse, elle le remplit de toutes ses chaussures. Elle lui remit ensuite le sac de force, l’assurant qu’il y avait là matière à vérifier qu’elle ne s’était jamais approchée du bouquet d’arbres où avait été retrouvé le sac !

Ayant récupéré une paire de tennis du sac abandonné par le gendarme, Michèle se précipita à sa suite et sauta dans sa voiture. Arrivée 5 minutes plus tard à la Gendarmerie on commença par la faire attendre puis sans même la recevoir l’adjudant qui l’avait entendue la première fois se refusa à lui dire où en était l’enquête.

Complètement estomaquée, Michèle réintégra sa voiture mais au lieu de regagner son domicile, elle se décida à passer à l’action. Après tout ne bénéficiaient-ils pas d’une assistance juridique par leur assurance ? Une bonne heure plus tard, elle quittait l’agence, un rendez-vous en poche avec un conseiller juridique et l’assurance d’être épaulée si nécessaire par un avocat.

Acte 4

Une semaine venait de s’écouler sans que les Brisson n’apprennent de la gendarmerie quoi que ce soit de plus sur l’affaire. Ils savaient juste par la rumeur que toutes les personnes du voisinage avaient été réentendues et que suite à des appels à témoins de « braves » gens étaient venus spontanément relater l’algarade du Supermarché. Mais le disparu l’était toujours !

De plus en plus angoissée, Michèle tentait toutefois de suivre les conseils de Pierre Vasseur et de ne rien changer à ses habitudes. C’est ainsi qu’elle se retrouva à la sortie du travail entrain de se garer sur le parking d’un des nombreux supermarchés de la région. Elle s’acheminait vers l’entrée quand elle crut défaillir. Avachi près d’une des poubelles qui jouxtent l’entrée du magasin, « le disparu » ! Elle faillit lui fondre dessus mais résistant à son impulsion, elle attrapa son téléphone portable, mitrailla le gars de loin avant de faire une petite vidéo. Elle regagna ensuite l’abri de son véhicule pour appeler la gendarmerie.

Elle patienta un certain temps avant que l’on daigne lui répondre. Déclinant son identité, elle raconta sa découverte demandant à ce qu’un véhicule soit dépêché rapidement sur les lieux.

A l’autre bout du fil, c’était la valse des interlocuteurs pour aboutir à une fin de non recevoir ; tous les véhicules avaient été réquisitionnés pour un accident sur la rocade !

Michèle, incrédule, se ressaisit rapidement. Elle assura son interlocuteur que si un véhicule ne venait pas rapidement sur les lieux elle se faisait fort de « balancer » sur tous les réseaux sociaux la vidéo qu’elle venait de faire assortie d’un commentaire reprenant toute l’histoire.

Pendant un certain temps, seul le silence lui répondit avant d’entendre un « très bien » laconique.

Elle retourna à sa voiture et manœuvra pour se garer de manière à surveiller l’entrée de la grande surface sans être vue. Elle commençait à douter de voir arriver la maréchaussée quand elle repéra leur voiture en approche. Leur laissant à peine le temps de réagir elle gicla de sa voiture et se porta à leur rencontre avant de les guider en petites foulées vers le type qui toujours avachi semblait ne rien avoir deviné de ce qui se tramait.

Epilogue

Elle pouvait enfin se détendre, bientôt toute cette histoire ne serait plus qu’un mauvais souvenir. Restait juste à savoir si elle saurait en tirer les enseignements nécessaires et ne plus se fourrer dans des guêpiers pareils en voulant jouer les mères Térésa !

 

Do

 

* Poulaga : dérivé argotique de poulet au sens familier de policier

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21 février 2014 5 21 /02 /février /2014 19:43

  

La voiture vient à peine de s’arrêter à sa hauteur que Pierre a déjà franchi la courte distance qui le sépare de la portière, côté passager. Jamais encore il n’avait fait d’autostop ! Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître ! A peine le pouce levé et le voilà prêt à embarquer.

Sûr et certain que le jeune couple qui vient de le charger n’imagine pas que ce vénérable grand-père est un fugueur !

Serrant sur ses genoux sa sacoche en cuir, le voilà qui se répand en explications, que personne ne lui demande, puis aussi soudainement se ferme comme une huitre, concentré sur la prochaine étape de son équipée.

Déposé par chance au centre du village, il se hâte de gagner la consigne de la gare SNCF où l’attend déjà son bagage. Le cœur battant à tout rompre, il se dirige ensuite vers les bornes de compostage.

Finies les répétitions, voici la générale tant attendue.

Mais alors que depuis des jours il ne vit que pour ce moment, à l’instant où le train entre en gare une hébétude totale le saisit. Bousculé par un petit groupe de voyageurs, sa valise lui échappe. Il tente fébrilement de la récupérer quand une poigne ferme l’attrape par le coude. Une petite brunette vient de rattraper sa valise et d’autorité l’entraîne vers le train.

Quelques secondes plus tard, de la fenêtre du TER, il voit enfin s’estomper ce qui fut si longtemps son cadre de vie.

A 80 ans bien sonnés, il a pris le chemin de la liberté.

Que ceux qu’il laisse derrière comprennent ou non son choix n’a plus d’importance, le cauchemar de ces quelques mois écoulés appartient au passé.

 

Veuf depuis une petite année, il avait peiné à refaire surface. Celle qui partageait sa vie depuis tant d’années lui avait fait faux bond en quelques semaines lui ôtant le goût de vivre. Pourtant petit à petit il avait repris du poil de la bête, la solidarité du voisinage y étant pour beaucoup. Chacun s’était ingénié à ne jamais laisser passer une journée sans croiser sa route. Une pâtisserie dont on lui offrait une part, un prêt de livre sur un de ses sujets préférés, quelques fruits ou juste un moment de bavardage, comme ça, pour ne rien dire …

A son insu, il avait repris ses habitudes se laissant même séduire par ce qui auparavant était le domaine de sa femme, l’informatique !

Il bricolait ici ou là pour les voisins qui en retour l’emmenaient faire quatre courses, mais son plus grand plaisir était de jouer la « nounou » pour les chiens du quartier. Il dépannait même pour plusieurs jours les familles qui ne pouvaient ou ne souhaitaient pas voyager avec leur animal.

Le ménage était son point faible et son plus gros défaut de se laisser submerger par les objets. A l’entendre tout était toujours comme neuf et pouvait servir. Allez comprendre pourquoi son aide-ménagère ne partageait pas son point de vue ? Par contre il était l’homme providentiel pour tous les bricoleurs du quartier.

 

Savoyard de naissance, Pierre avait quitté ses chers sommets, en pleine jeunesse, pour l’amour de Marie et cela faisait bien dix ans qu’il n’avait pas remis les pieds à Chamonix. Il avait encore quelques connaissances et depuis sa renaissance, l’envie de les retrouver le tenaillait. Il y avait cependant un gros obstacle à surmonter pour faire de son rêve une réalité, l’ingérence de ses enfants dans sa vie.

Pierre avait de plus en plus souvent la désagréable impression d’être redevenu petit garçon et admettait difficilement de vivre sous leur regard. Jadis fondé de pouvoir, il s’accommodait mal de leur intrusion dans ses affaires. Si encore ils avaient su répondre présent au moment où la solitude lui pesait le plus !

Et puis il y avait eu la visite de sa fille, un jour à l’improviste, une petite phrase lancée, comme cela, mine de rien.

Entrer en maison de retraite !

Et quoi encore ?!

Complètement chamboulé, il avait filé chez ses voisins où il se savait le bienvenu.

Comme d’habitude les Lauzet ne lui avaient pas fait défaut. Pratiques, ils l’avaient écouté puis l’avaient aidé à rechercher et lister ce qui indisposait le plus ses enfants. Un plan d’attaque avait été élaboré.

Cela avait commencé par un grand ménage côté jardin, histoire de soigner le décor, de gagner du temps. Le voisinage d’abord interloqué par cette soudaine activité, avait apporté son concours, participant activement aux rotations sur la déchetterie.

Ensuite pour l’aider à se protéger au mieux et vivre comme il le souhaitait, même fleurant les 85 ans, il en avait le droit, Pierre avait rencontré le notaire de ses voisins venu à leur domicile. Ce premier pas vers la liberté avait failli tourner court lorsque le fils de Pierre avait frappé à la porte des Lauzet inquiet de l’absence de son père. Gentiment sermonné, ils lui avaient rappelé que son père était un grand garçon et histoire de faire diversion les Lauzet inventèrent un bricolage bidon chez des relations communes.

Ce soir là, Pierre se coucha plus détendu, la donation de leur maison faite à leurs enfants du vivant de Marie, n’était pas un obstacle à son désir de liberté. S’il ne pouvait plus en disposer à sa guise, il en conservait la jouissance et l’usufruit. Occuper comme Perette à tirer des plans sur la comète, il se voyait déjà couler des jours tranquilles sans quiconque pour le surveiller, c’était sans doute prématuré !

Quelques semaines s’écoulèrent au cours desquelles Pierre commença à prendre discrètement ses marques. Ayant remarqué qu’à chaque visite sa petite fille faisait un tour sur son ordinateur, il s’était obligé à ne rien laisser traîner qui aurait pu trahir la nature de ses projets.

Dans la maison, en apparence le bazar régnait toujours, pourtant les placards s’étaient en partie vidés de leurs contenus, contenus qui s’entassaient dans une grange voisine.

Il y voyait plus clair, ses rêves prenaient corps.

Utilisant le Net pour prospecter, il avait opéré un premier tri et communiqué ses résultats aux chamoniards, mis dans la confidence. Ceux-ci l’avaient orienté vers une résidence dite « sécurisée » où l’un d’eux logeait déjà.  La liberté avec une solution de repli en cas de pépin.

 

Rassuré, ayant déjà sauté le pas dans sa tête, Pierre tardait cependant à arrêter une date pour son grand départ. Deux coups de semonce le réveillèrent brutalement.

Deux visites.

Une qu’il n’attendait plus, l’autre à laquelle il ne s’attendait pas !

Lorsque sa petite fille débarqua avec une galette le jour de l’Epiphanie Pierre tout ému cru qu’elle avait réalisé comme il s’était senti seul, jusqu’à ce que sans détour elle lui demande ce qu’il avait fait des bijoux de Marie.

Rangés, lui répondit-il !

Est-ce la sécheresse du ton qui la dissuada de persévérer, toujours est-il que la jeune femme, sitôt sa part de galette avalée réintégrait sa petite DS pressée sans doute d’aller relater ses déboires. Pierre fit de même et dans l’heure qui suivit, appelait ses amis savoyards pour connaître les éventuelles disponibilités en matière de location.

Une petite semaine plus tard, pas de déception mais après coup une énorme frayeur qui le fit réagir quasi immédiatement.

Le premier entretien avec le notaire de ses voisins lui avait permis de cerner les dangers qui pouvaient éventuellement fondre sur lui. La jeune femme lui avait relaté par le menu les avatars de clients victimes de mises sous tutelle abusives, souvent à la demande de familles pressées de récupérer des biens qu’elles convoitaient. S’il avait réalisé que sans illusion quant à la nature des sentiments qui agitaient bon nombre de ses clients elle se libérait de ses angoisses en lui dressant un tableau plutôt sombre de l’Humanité, il avait quand même reçu le message qu’elle tentait de lui faire passer.

Il s’était déplacé pour la revoir et avait suivi à la lettre ses conseils. Mandat de protection future, certificats médicaux attestant qu’il était sain de corps et d’esprit, changement de domiciliations bancaires ...

Tout était allé vite, l’étau se desserrait ! C’était du moins ce qu’il croyait jusqu’à ce 13 janvier où deux femmes sonnèrent à sa porte. Assistantes sociales, mandatées par le Conseil Général, elles intervenaient  à la demande de ses enfants inquiets pour leur père afin de procéder à un inventaire de ses besoins !

Interloqué, Pierre répondit néanmoins du tac au tac qu’il n’avait besoin de rien, hormis peut-être de les voir un peu plus souvent et tourna les talons. Elles lui emboitèrent le pas. Cherchant du regard où s’asseoir, le canapé étant encombré par un tas de linge à plier, à dessein, il les laissa se débrouiller, leur tournant ostensiblement le dos. Réalisant qu’elles allaient s’incruster, il leur approcha deux chaises mais pris la peine de terminer ce qu’il était entrain de faire à leur arrivée. Ensuite, leur faisant face, il attendit !

Il écouta en silence un bon moment décidé à leur river le clou à la première occasion. Celle-ci se présenta lorsque l’un des deux femmes lui demanda d’un air doucereux quel jour on était !

Il lui répondit mais continuant sur sa lancée leur demanda s’il n’existait pas d’autres tests plus fiables et moins galvaudés pour savoir si les gens chapeautaient ou pas !

La femme bredouilla une vague réponse et farfouillant dans ses documents embraya sur le chapitre santé. Subitement, Pierre sentit que la mesure était comble. Il allait leur coller la preuve sous le nez qu’il était en pleine forme et elles allaient aller se faire pendre ailleurs. Il avait à portée de main les certificats médicaux établis sur les conseils du notaire, attestant de manière irréfutable qu’il ne perdait pas ses boulons, il pouvait même leur en offrir une copie !

Cinq minutes plus tard, les femmes parties, il filait chez ses voisins pour leur raconter ce qu’il venait de vivre. Il ressortit de chez eux déterminé à filer à l’anglaise le plus vite possible, triste de constater qu’il ne pouvait attendre rien de bon de sa propre famille !

 

Epilogue

Dans le train qui l’emmène à grande vitesse Pierre écoute amusé la brunette lui raconter ses déboires amoureux, ses projets. Une diversion bienvenue car s’il sait pouvoir compter sur les « chamoniards », le constat est quand même amer.

Le ronron du train, la chaleur du wagon l’ont quelque peu engourdi, il se sent flotté puis aussi soudainement que la peine lui a noué le cœur, un soudain bien-être l’envahit … Marie ! Elle est là, il la voit. Sa tignasse brune, l’œil qui rit, pleine d’entrain comme jadis.

Avec la petite brune, la vie lui a rendu Marie.

Un joli clin d’œil pour lui montrer que rien ne finit, il suffit juste d’y croire.

Do

 

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3 janvier 2014 5 03 /01 /janvier /2014 15:04

    No Pasaran !*

(On espère bien que si !...)

 

Nouvelle

         

Les deux mains posées à plat devant lui, le président Sarkhollandzy balaya d’un regard circulaire l’assemblée de ses ministres. Sous son regard sévère, peu à peu, le brouhaha des voix diminua jusqu’à s’éteindre tout à fait, laissant place à un silence craintif et respectueux.

- Mesdames et messieurs, je vous ai rassemblés aujourd’hui pour ce conseil des ministres exceptionnel afin de faire le point sur une situation préoccupante que nous avons déjà évoquée ici-même plusieurs fois. Depuis plusieurs semaines, chacun, dans son domaine, a donc travaillé afin de dresser un état des lieux. Le moment est venu, mesdames, messieurs, de faire le point ensemble, d’en tirer les conclusions qui s’imposent et d’établir un plan d’attaque afin de contrer les tendances émergentes dévastatrices qui nous préoccupent tout particulièrement. Je vais donc donner la parole à Monsieur le ministre de l’intérieur qui va nous faire un exposé général de la situation.

Petit et rond, Emmanuel Tazère de la Gachaite se redressa vivement à l’appel de son nom, esquissant un petit salut à l’adresse de son supérieur hiérarchique avant d’ouvrir son dossier et de prendre la parole en se raclant la gorge :

- Je vous remercie, monsieur le président. Je vais commencer par un bref rappel de la situation, si vous le voulez bien. Il y a quelques mois, nous avons été alertés au sujet d’un phénomène culturel inquiétant ayant vu le jour dans nos campagnes et ayant une fâcheuse tendance à se généraliser. Nous avons tous entendu parler de monnaies locales, d’échanges de services, et autres petits arrangements locaux qui se font ici ou là en marge de l’économie traditionnelle. Ce sont des fonctionnements marginaux qui existent depuis fort longtemps et qui n’ont jamais suscité la moindre inquiétude, justement parce qu’ils restaient marginaux. Or voilà que depuis quelques temps, plusieurs semaines, voire même plusieurs mois, ces initiatives locales ont tendance à prendre une ampleur préoccupante. Bien entendu, lorsque nous avons commencé à constater que le phénomène s’amplifiait, les médias ont reçu l’ordre de cesser la publicité involontaire qu’elles leur apportaient afin de tenter d’enrayer l’épidémie. Hélas, vous savez bien sûr qu’il est très difficile de contrôler de la même façon les informations qui circulent sur le net et c’est évidemment de cette manière que le processus a pu s’accélérer jusqu’à arriver à la situation de crise que nous connaissons aujourd’hui. Mais je pense que madame le ministre de l’économie et des finances en parlera mieux que moi.

Face au ministre de l’intérieur, une longue dame brune aux cheveux sagement regroupés en chignon sur la nuque, se prépara prestement à prendre la suite de son collègue, mais le président, qui avait pris quelques notes au cours de l’intervention du ministre de l’intérieur, l’arrêta d’un geste discret :

- Juste une question, avant votre intervention, madame du Flouze, si vous le permettez ! Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez parlé de plusieurs semaines, voire même plusieurs mois… Ne peut-on parler d’années, dans certains cas ?

Le ministre de l’intérieur rougit comme un élève pris en faute :

- Tout à fait, monsieur le président, dans certains endroits, on peut effectivement dire que cela dure depuis des années.

- Merci. Madame, c’est à vous…

Un peu déstabilisée par cette intervention, Marilyne du Flouze, ministre de l’économie, attaqua son exposé en bégayant un peu :

- Oui… Hé bien, oui… Merci, monsieur le président. Effectivement, tout a commencé il y a quelques années dans certains petits villages de nos provinces… En Bretagne, mais aussi en Ardèche et en Ariège plus particulièrement. Les populations ont commencé à s’organiser au niveau local pour lutter contre la crise. Remplaçant progressivement les monnaies locales déjà existantes, l’échange de service est devenu le fondement de ces microsociétés. Avec un principe de base incontournable : limiter les transactions monétaires au maximum. Les valeurs avancées étaient et sont toujours : le partage, l’échange, la circulation des objets, l’entraide et la confiance. Une large place est laissée, bien sûr, au bénévolat.

Le président hocha la tête d’un air entendu :

- Oui, pour l’anecdote, j’ai entendu dire qu’un journal acheté circulait ainsi de famille en famille… De même pour les livres ; il est parait-il question de bibliothèques communautaires où le prêt de livre est totalement gratuit… On offre ses compétences, on en reçoit d’autres…

- Tout à fait. Même les vides-greniers fonctionnent sans que ne soit échangé un cent ! On fait la chasse au gaspis. Rien n’est jeté, tout est recyclé !

Au bout de la table, une petite main se leva. Elle appartenait à une jeune femme blonde aux cheveux fins tombant sur les épaules.

- Il semblerait que madame le ministre de l’écologie veuille intervenir, commenta Jacques François Sarkhollandzy. Madame, on vous écoute.

- Merci, monsieur le président… En effet, j’ai l’impression, madame le ministre, que vous déplorez cette attitude… Pour ma part, je suis à cent pour cent pour le recyclage. On jette tellement facilement, de nos jours !

- Je comprends votre remarque, madame Hulotte Pastouret. Moi-même, à titre personnel, je m’inscris tout à fait dans cette démarche, mais vous comprenez bien, madame, que ce qui est louable tant que cela reste un phénomène isolé, peut devenir catastrophique au niveau économique lorsqu’il se généralise. Car ces gens là n’ont qu’un seul mot à la bouche : non consommation. Pour eux, ce qui ne peut être réutilisé, composté ou recyclé ne devrait pas exister. Durabilité, réparabilité et mobilité durable. Que cette épidémie en vienne à toucher les grandes métropoles et c’est tout notre système économique qui s’effondre ! Que dis-je, notre système économique… Le système économique mondial, en vérité !

Baissant la tête, Nicole Hulotte Pastouret esquissa une moue dubitative.

- Vous trouvez que j’exagère, madame ? Sachez que ce mouvement s’accompagne d’une idéologie particulièrement redoutable pour nos industries. Les adeptes de cette nouvelle philosophie prônent les économies d’énergie comme seul moyen de lutte contre la raréfaction des ressources. Mais loin de se laisser séduire par les énergies propres, chères en investissement pour une rentabilité lointaine et parfois douteuse, leur solution consiste donc à limiter au maximum la consommation, à commencer par le nombre d’appareils électriques… Oui, cela parait simpliste, mais le secteur électroménager en est tout particulièrement touché! Les enquêtes menées sur place par nos agents montrent que ces individus ont réussi à réduire considérablement leur facture d’électricité, en dépit des augmentations conséquentes de ces derniers mois. Et sans aucune perte de qualité de vie. Disent-ils.

Assis à la droite du ministre de l’économie, le ministre des communications leva le bras avec impatience. Aussitôt, le président l’invita à s’exprimer d’un geste significatif. Solimane Ng’allo s’exécuta d’une voix puissante :

- Le secteur électroménager n’est pas le seul touché, monsieur le président. On note une forte baisse de consommation dans la téléphonie mobile au cours des derniers mois. Les abonnements Internet eux-mêmes accusent une courbe décroissante. Il y a semble-t-il, une volonté évidente de s’affranchir de ces technologies, jugées trop invasives par ces populations, que l’on dit rurales à tort, car il s’agit pour beaucoup d’anciens citadins. On compte aussi de plus en plus de foyers sans télévision dans les zones les plus touchées.

- Sans télévision ? fit la voix incrédule de Marcel Peyre-Pette, ministre de la justice.

Solimane Ng’Allo confirma d’un air solennel :

- Absolument. Sans télévision. Il y a d’ailleurs une forte baisse des redevances cette année. Les personnes interrogées ont expliquées qu’elles en avaient assez des programmes sans intérêt diffusés à longueur de journée sur le petit écran, allant même jusqu’à les qualifier de débiles. Mêmes les journaux télévisés, pour eux, n’ont plus matière à informer, mais plutôt à désinformer.

- Ces gens-là ne s’informent plus ? questionna le président interloqué.

- Détrompez-vous, monsieur Sarkhollandzy. Ils sont très bien informés.

Solimane Ng’Allo baissa la voix pour ajouter :

- Beaucoup mieux que les autres, en fait, monsieur le Président.

Quelques ricanements et commentaires interrompirent un instant le cours du conseil. Le président se retourna d’un air agacé vers son ministre de l’économie et des finances :

- Dans ce contexte, madame du Flouze, j’imagine que le secteur automobile accuse une certaine baisse de forme ?

- Absolument, monsieur le Président. La vente des voitures neuves a baissé partout, certes, mais plus particulièrement dans les zones rurales, là où les populations sont pourtant censées avoir le plus besoin d’un véhicule. Les gens hésitent à changer de voiture en dépit de primes à la casse, boudent les modèles trop sophistiqués, gardent plus longtemps leurs vieux véhicules, s’organisent entre eux, pratiquent le covoiturage… On remarque par ailleurs que dans ce domaine, ils évitent les sites internet consacrés à ce système. L’indépendance est leur crédo. L’autonomie, également. La fréquentation des grandes surfaces est en baisse, au profit des petits producteurs locaux. Les commerces de proximité sont favorisés et beaucoup disent que la réduction des frais de transports compense les prix plus élevés que dans la grande distribution, d’autant que les produits sont de meilleure qualité. Ils prônent le manger moins pour manger mieux !

Un silence méditatif s’installa dans l’assemblée. Le président promena un regard circulaire autour de lui avant de s’arrêter sur une petite femme boulotte dont le visage rond était auréolé de cheveux gris courts et bouclés.

- Que pensez-vous de tout cela, madame le ministre des solidarités ?

La bouche pincée, Elisabeth Donnadieu prit une longue inspiration destinée à se ménager quelques instants de réflexion, d’autant que son avis risquait fort de déplaire à beaucoup.

- Hé bien, monsieur le président, on peut dire que ces populations ont compris le sens du mot solidarité. Cette idée de ressources communes est intéressante. Ils remettent au goût du jour des valeurs trop souvent bafouées au cours des dernières décennies. J’ai entendu dire que les lieux publics étaient transformés en potagers communautaires… Les personnes démunies sont prises en charge au niveau des communes grâce à une très large implication de personnes bénévoles, chômeurs et retraités… Tout cela ressemble à une société idéale.

Pierre Glaiseux, le ministre de l’agriculture, chauve et bedonnant, bondit littéralement de son siège, le visage congestionné de colère :

- Mais totalement utopique, madame Donnadieu ! Complètement utopique ! Et qui plus est, à la limite de la légalité ! Ces gens ignorent tout bien sûr du catalogue des plans autorisés par la communauté européenne ! On ne cultive pas n’importe quoi, de nos jours ! Vos joyeux hurluberlus ont-ils seulement pris conscience de leurs responsabilités vis-à-vis de l’avenir de la société ?!

Elisabeth Donnadieu fusilla son collègue de son regard bleu :

- Beaucoup plus que certains, monsieur Glaiseux, répondit-elle froidement.

Le président réagit promptement pour ramener la paix dans des esprits qui s’échauffaient visiblement un peu trop :

- Allons, allons, du calme, je vous prie ! Monsieur Lebac, s’il vous plaît, avez-vous des remarques à faire de votre côté, en ce qui concerne l’Education ? Nous vous écoutons.

Le ministre de l’Education Nationale adressa un regard de reconnaissance au président et se pencha sur ses notes :

- Le constat est assez inquiétant, monsieur le président. Cette année, de nombreuses fermetures de classes ont dû intervenir dans les zones concernées. On constate en effet une forte chute des effectifs dans la plupart des écoles.

- Comment cela se fait-il ? fit le président, visiblement étonné. Aucune baisse de natalité n’a pourtant été signalée au cours des années précédentes !

- Non, effectivement. Les parents retirent leurs enfants de l’école. L’école ne les satisfait plus. Beaucoup vont dans le privé… Et, il y a un très fort engouement pour l’éducation en famille.

A ses mots, Sébastien Lussape, ministre de la jeunesse et des sports demanda la parole.

- On constate le même phénomène au niveau des activités périscolaires, monsieur le président… Les familles s’organisent entre elles pour garder les enfants en dehors du temps scolaire. Ni l’école, ni les centres de loisirs ne semblent plus répondre aux attentes des familles.

- Que leur reproche-t-on ?

- Pour l’école, un appauvrissement de la culture générale et une regrettable uniformisation des acquis. Quant aux activités périscolaires, s’agissant de petites communes ayant peu de moyens moyens, il ne s’agit généralement que de garderies.

- J’ai entendu dire au cours de mon enquête, monsieur le Président, reprit Lionel Lebac, que l’école n’apprenait plus aux enfants à réfléchir, mais qu’elle cherchait au contraire à formater des individus faciles à manipuler par des gouvernements peu scrupuleux, des moutons, en quelques sortes…

- Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? s’écria le ministre du travail d’une voix forte.

- Je vous en pris, monsieur Orsoni ! Gronda le président. Maîtrisez vos paroles, s’il vous plaît !... Bien, tout cela est inquiétant, effectivement. Et vous, madame Achivé ? Quel constat du côté de la santé s’il vous plaît ?

L’expression grave et solennelle de Roselyne Achivé était déjà une réponse en soi.

- Même constat, hélas, monsieur Sarkhollandzy. Comme dans le domaine de l’éducation, on remarque des familles désireuses de s’affranchir d’un système qui a pourtant toujours fait ses preuves. Le phénomène le plus significatif est sans doute celui des vaccins… Le refus de vaccination est de plus en plus fréquent, notamment le refus des vaccinations polyvalentes…

- Comment cela, refus de vaccination ? s’indigna le président Sarkhollandzy. Et comment ces familles peuvent-elles se soustraire à ces obligations ?

- C’est qu’il n’y a pas de réelle obligation, monsieur le président. Légalement, seuls la diphtérie, le tétanos et la polyo sont obligatoires… Primo vaccination et premier rappel seulement. Tout le reste n’est que recommandé.

- Hé bien il va falloir y remédier, répondit vivement le président. Le plus rapidement possible. Voilà au moins une chose qui ne parait pas trop compliquée.

- Hum… Mais qui nécessitera un certain doigté ! Par ailleurs, je voulais ajouter que les populations concernées par le phénomène que nous évoquons sont plus enclines à pratiquer les médecines douces, l’automédication par les plantes…

- L’Europe a déjà pris conscience du problème et des mesures sont en cours à ce sujet, coupa sèchement le président.

- C’est exact. Mais il y a aussi cette attirance pour les médecines parallèles, guérisseurs, chiropracteurs…

- On se croirait revenu au Moyen-Age, ne put s’empêcher de ricaner le ministre de l’Intérieur.

- Vous ne croyez pas si bien dire, riposta Roselyne Achivé, également en charge du ministère des affaires sociales. Car ce phénomène de société va très loin et on assiste à une modification profonde des comportements. Les croyances évoluent également considérablement. La baisse de fréquentation des églises est un fait acquis depuis de longues années, dans ces régions, comme ailleurs. Mais les enquêtes ont révélé que ces populations évoluaient inexorablement vers une spiritualité indépendante… Beaucoup ont avoué pratiquer la méditation, insistant sur l’importance de cultiver la pensée positive. C’est pour cette raison, du reste, que la plupart en vient à bouder ces médias qui véhiculent trop volontiers la peur et les catastrophes… Comprenez-bien que dans ce contexte, nous n’avons plus aucune prise sur ces gens !

Un silence prolongé s’installa au sein de l’assistance accablé par l’ampleur du problème. Le président méditait et tous semblaient attendre une réaction de sa part. Elle vint enfin, provoquant un soulagement général :

- Hé bien messieurs dames, nous allons donc relancer la chasse aux sorcières ! Nous allons fouiller, débusquer, sanctionner et ramener tout ce joli monde dans le droit chemin de la consommation et de la croissance ! Mais dans un premier temps, il faut enrayer l’épidémie… Nous avons parlé des campagnes… Les villes sont-elles atteintes, monsieur Tazère de la Gachaite ?

- Certains quartiers, monsieur le président. Oui, on peut dire que les villes commencent à être touchées, elles aussi.

- Bien. Il nous faut tout particulièrement surveiller ce qui circule sur le net. Lancer des alertes avec des mots-clé ciblés… Eplucher les sites, les blogs, les courriels… Tout. Nous allons retrousser nos manches et légiférer, censurer, in-ter-dire ! Chacun va donc poursuivre le travail en imaginant les moyens de répression adaptés aux problèmes que nous avons évoqué. Monsieur Lebac, le problème de l’école est primordial. C’est là que tout commence, n’est-ce pas ? Il y a longtemps que nous aurions dû nous intéresser au sort de l’éducation en famille… Désormais, ce n’est pas l’enseignement qui doit être obligatoire… C’est l’école. Et pour ce qui est de la santé, secteur particulièrement sensible également, ou en est cette soi-disant pandémie en Chine ?...

Roselyne Achivé fronça les sourcils :

- Hé bien il semblerait  qu’il s’agisse d’une mauvaise plaisanterie…

Le président opina lentement du chef en réfléchissant intensément.

- Dommage… Mais je pense… qu’en utilisant judicieusement le réseau Internet, nous pourrions peut-être faire en sorte que cela devienne une réalité…

D’abord interloqués, les ministres échangèrent des regards incrédules, voire désapprobateurs pour certains. Le président se fit sévère et déterminé :

- Comprenez-moi bien, mesdames et messieurs ! Seule la peur peut ramener ces brebis égarées au bercail. Il faut qu’elles se sentent menacées dans ce qu’elles ont de plus précieux, leur santé. Et nous apparaitrons alors comme des sauveurs ! Dites-vous bien que l’heure n’est plus aux scrupules. Nous sommes entrés dans une logique de guerre. Nous faisons la guerre à une secte d’ampleur nationale. Nous ne devons rien laisser au hasard. Il en va de la grandeur de l'état. La tâche sera rude.

Un silence accablé accueillit cette déclaration. Le président se redressa, gonflé de toute l’importance de sa fonction :

- Mesdames et messieurs, la séance est close. Nous nous retrouverons dans trois jours pour un nouveau point. Je vous remercie.

  

* « No pasaran ! », pour ceux qui l’ignorent, est le célèbre slogan prononcé par les républicains espagnols en lutte contre franquistes.

 

Fredo.

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1 octobre 2013 2 01 /10 /octobre /2013 17:12

Sans doute vous êtes vous déjà demandé comment font certaines personnes pour tenir le coup face à des situations difficiles et peut-être avez-vous constaté qu’un beau jour, alors que tout s’arrange pour elles (c’est du moins notre ressenti personnel) au lieu de se sentir revivre, c’est la dégringolade !

Dans cette nouvelle, j’ai essayé de démonter quelques mécanismes de fonctionnement que nous pouvons tous avoir un jour et de mettre en scène comment, lorsque la situation perdure et est poussée à son paroxysme, ces mécanismes de sauvegarde deviennent notre identité. Identité qui nous colle à la peau et a généralement des répercussions sur notre entourage.

C’est en m’intéressant à la psycho généalogie que j’ai découvert les ravages que ces différents modes de fonctionnement opèrent au sein des familles et que l’on retrouve de génération en génération. Voici donc le fruit de mes cogitations.

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Quelle est la pile qui vous fait avancer ? Nouvelle

Depuis un petit moment Pascaline regardait avec attention le paysage qui se déployait au pied de la Résidence. L’intense luminosité lui blessait les yeux mais un petit détail avait accroché son regard. Les grands pins voisins masquaient en partie la petite route qui sinuaient au milieu des vignes aussi se démanchait-elle le cou pour tenter d’en apercevoir le seul tronçon partiellement dégagé.

Le ciel chauffé à blanc vibrait sous les stridulations des cigales la remplissant d’un bien-être qu’elle sentait renaître chaque été.

-« Mais enfin Pascaline, fermez moi cette fenêtre et branchez au moins votre ventilateur si vous ne voulez pas venir au salon ! »

Toute à sa surveillance, Pascaline n’avait pas entendu arriver l’aide-soignante qui régulièrement dans la journée venait leur proposer à boire.

-« Te-te-te, vous n’allez pas m’apprendre ce qui est bon pour moi ? J’ai besoin d’avoir chaud, je me sens revivre !!! »

Pressée d’en finir, Pascaline attrapa le verre de citronnade que lui tendait la jeune femme et regagna son poste d’observation. Trop tard ! Si ce qu’elle avait cru voir n’était pas un mirage, elle avait manqué l’opportunité de s’en assurer.

-« C’est malin ! je n’ai rien pu voir ! »

-« Voir quoi ? »

-« J’ai cru reconnaître quelqu’un ! »

-« Et bien, il faut qu’il soit fada pour se balader en plein cagnard ! »

-« Dans ce cas on sera deux, je sors. Je vais au jardin, sous les pins je serai bien ! »

Pascaline attrapa ses lunettes, son chapeau et sans attendre de quelconque commentaire quitta sa chambre.

Bien que fleurant les 90 printemps, d’un pas dansant elle gagna le rez de chaussée où un rapide inventaire des magazines lui permit de trouver de quoi s’évader.

Elle connaissait un petit coin sous les pins qui l’enchantait ; le vent dans les aiguilles la transportait des années en arrière quand jeune retraitée elle avait décidé de tout quitter pour venir s’établir dans le Sud. Elle avait largué les amarres médusant son environnement qui ne la voyait qu’en femme soumise. Soumise, elle l’avait été, à ses parents d’abord, à son époux ensuite puis à sa hiérarchie. Enfant elle avait cru qu’il était dans l’ordre normal des choses d’obéir, d’être sage. S’il lui arrivait d’envier la liberté de certaines de ses amies, la satisfaction de plaire aux siens, les compliments, faisait taire en elle ses quelques brefs moments de rébellion. Plaire était devenu « la pile qui la faisait avancer », elle s’effaçait pour répondre aux attentes des autres. Être sage se résumait à ne pas être !

La donne avait quelque peu changé lorsqu’elle était devenue mère. Si sa fille aînée s’était révélée l’enfant idéal, la seconde était née la rébellion chevillée au corps. Regardant sa cadette grandir, Pascaline se surprenait parfois à la trouver plus adulte qu’elle. Lorsque du haut de ses 9 ans, la petite lui demanda pourquoi elle ne divorçait pas comme la mère de sa copine, elle n’avait su quoi répondre. Pourquoi en effet acceptait-elle de se laisser traîter comme une « sous merde » comme lui disait une de ses collègues et amies.

La réponse était lumineuse de simplicité : c’était au-dessus de ses forces !

Devoir se justifier auprès de ses parents, entamer des tonnes de démarches, quitter sa maison, elle y avait investi beaucoup d’énergie, tout lui semblait insurmontable. Par ailleurs, elle pouvait compter sur ses copines, se savait écoutée et plainte quand la mesure était comble. Il y avait toujours une porte amie où aller frapper si nécessaire pour recharger ses batteries !

Ses filles avaient grandi, chacune suivant sa voie. L’aînée, Florence, n’était pas sans lui rappeler ce qu’elle était, placide, soucieuse de ne pas faire de vague. Elle aurait pu en être satisfaite, pourtant son attitude l’inquiétait alors que le côté « va-t’en guerre » de la petite, Aline, la stimulait. C’est à cause d’elle finalement qu’un beau jour, elle annonça qu’elle allait vivre sa nouvelle condition de retraitée dans le sud et seule !

Un cataclysme !

Son mari s’était effondré, toute la famille à son côté. Petit à petit leur pitié l’avait « ressuscité », il était devenu la victime, elle était son bourreau. Les rôles s’étaient inversés. Florence ne décolérait pas, seules Aline et sa petite famille l’avaient soutenue. Ils avaient prospectés avec elle, l’aidant à trouver sa nouvelle résidence.

Elle leur en avait ouvert grand les portes puis avec joie les avait vus s’installer dans le sud où ils y avaient fait souche. Si Pascaline se régalait à voir grandir la descendance de sa plus jeune fille, de l’aînée elle ne savait que ce que lui racontait Aline, autant dire assez peu de choses car les rencontres étaient rares. De ses 7 arrières petits-enfants elle ne connaissait que Tom et Marie qu’Aline assumait énormément. C’était sans aucun doute son choix mais Pascaline ne voyait pas d’un bon œil sa fille jouer les mères de substitution. Elle comprenait bien ce qui animait Aline. Veuve, encore jeune, elle avait une trouille bleue de la solitude qu’elle comblait en élevant ses petits-enfants, leurs parents étant toujours occupés de droite ou de gauche.

Pascaline s’était juste autorisée à lui faire remarquer que Tom et Marie feraient leur vie un jour sans regarder derrière eux, ce qui était non seulement normal mais souhaitable ! Ils ne pourraient remplir sa vie éternellement et si elle voulait ne pas trop souffrir il était important qu’elle pense à elle, vive pour elle ! Elle n’était pas certaine d’avoir été reçu 5 sur 5 mais au moins, elle avait dit ce qu’elle pensait.

Pascaline vivait maintenant depuis quelques mois à la résidence de la Forge où elle menait une vie un peu en marge des autres, ce qui était d’autant plus aisé qu’elle était à deux pas du village où elle avait vécu de si longues années. Elle y avait ses repères, de vieilles copines avec lesquelles elles sortaient parfois. Souvent en vadrouille, la routine de la Résidence lui pesant fréquemment, elle qui par le passé était taxée de femme soumise avait endossé le costume de rebelle au sein de la maison de retraite. Avec la complicité d’un vieil ami bricoleur, elle avait installé sur sa loggia, un petit coin dînette. Il lui avait bricolé un système de verrouillage « aux petits oignons » et personne n’avait encore découvert ce que contenait le petit meuble. Elle se mitonnait parfois des petits plats où régalait Tom et Marie de sucreries « maison ».

Elle prenait un réel plaisir à cultiver son côté marginal ; c’était là sa réponse pour arriver à s’adapter à son nouvel environnement. Louée enfant pour sa docilité, elle alimentait les ragots par son goût de la provocation.

Installée sous son pin, Pascaline était plongée dans la lecture d’un magazine quand elle entendit chuchoter à ses côtés.

Sans réel étonnement elle pivota pour découvrir la tignasse d’un blondinet émergeant d’un bouquet de tamaris. Elle n’avait donc pas eu la berlue tout à l’heure en apercevant une silhouette menue sur la petite route !

-« Elliot ?! D’où sors-tu ? »

-« Les parents m’ont déposé »

-« Ah bon ! Tiens !! »

La réponse du gamin la laissait perplexe, les propos d’Elliot avaient un petit parfum de mensonge. Néanmoins toute heureuse de cette visite inespérée, elle invita l’enfant à venir déjeuner avec elle. Après avoir demandé si elle pouvait mangé dans sa chambre et récupéré deux plateaux garnis en cuisine, ils s’installèrent pour une espartinette sur sa terrasse. Elliot regardait son arrière grand-mère s’affairer dans son coin dînette, tout en lui livrant sans s’en rendre compte le pourquoi de sa présence auprès d’elle. Pour son opération séduction, Pascaline était décidée à bien faire les choses n’hésitant pas à améliorer l’ordinaire avec du Nutella et du Coca. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre et il y avait à coup sûr de « l’entourloupe » dans l’air !

 

L’an passé, Aline avait renoué avec sa plus jeune nièce, benjamine de Florence. Mère de 3 enfants, Angélique avait été séduite par le côté dynamique de sa tante, cette dernière prenant un grand plaisir à voir Tom et Marie cohabiter joyeusement sous un même toit avec des cousins qui venaient de leur tomber du ciel.

Pascaline espérait que côté retrouvailles, la famille n’en resterait pas là, pour tout dire elle espérait renouer avec Florence ! Sa fille, Angélique, n’avait en rien hérité du caractère de sa mère, elle s’était, aurait dit un psy, construite en totale opposition. Elle menait sa famille d’une main de maître. Rien ne lui échappait, elle avait un avis sur tout, se flattait de ce que ses enfants filaient doux.

Elliot notamment était d’un calme impressionnant mais il n’avait pas fallu longtemps au joyeux Tom pour le séduire.

Observant vivre sa nièce, Pascaline se demandait si un jour viendrait où, comme elle, Angélique se lasserait du rôle qu’elle avait endossé. La vie ne pouvait se résumer à ce combat perpétuel que menait Angélique en toute circonstance.

A la fin du repas, Pascaline attrapa Elliot aux épaules l’obligeant à lui faire face. Elle n’eut pas à insister longtemps pour découvrir que l’enfant avait filé à l’anglaise. Profitant d’une scène entre ses parents et après avoir proféré le plus gros mensonge de sa vie, il avait lancé à la cantonade que Tante Aline était venu le chercher pour retrouver Tom, et il s’était évaporé.

Avec ses mots d’enfants il lui expliqua qu’il en avait assez d’entendre ses parents se disputer. Sa mère se plaignait d’être seule pour tout faire mais elle refusait tout le temps d’être aidée, semblant savoir mieux que quiconque leurs goûts, leurs désirs. Elliot aimait la musique, il était inscrit au tennis. Ses sœurs rêvaient de poney, elles avaient chaussé les demi-pointes dont leur mère rêvait enfant.

Et puis, il y avait son père !

Effacé, laissant sa femme mener sa barque, il fuyait la maison se réfugiant dans sa voiture pour y passer de longs moments. Un copain de classe d’Elliot lui avait raconté avoir vu son père un dimanche midi manger tout seul un sandwich sur un parking. L’étrange découverte avait grandement perturbé l’enfant mais il en avait conclu que la solution à ses problèmes se trouvait dans la fuite …

Dans la tête de Pascaline les idées se bousculaient.

Cherchait-on Elliot ? Personne n’avait tenté de la joindre !

Devait-elle appeler Aline ?

Pouvait-elle trahir l’enfant ?

Après tout, Elliot lui avait dit avoir été déposé par ses parents, elle n’avait qu’à s’en tenir à cette vérité. C’est d’ailleurs ce qu’elle avait annoncé au personnel en présentant son invité !

Sa décision était prise, elle ne bougerait pas une oreille pour le moment.

A l’heure du goûter, personne ne s’étant manifesté, Elliot partagea celui des résidents sans que personne n’en soit surpris ! 

Pascaline attendit l’heure du dîner pour appeler sa fille et jouer les étonnées faisant mine de s’interroger sur la présence si tardive du jeune Elliot à ses côtés.

Une demi-heure plus tard, toute la famille débarquait à la Forge où Elliot paradait de table en table auprès d’un public de séniors conquis par sa spontanéité.

En quelques enjambées Angélique se porta vers l’enfant. Un peu en retrait, son mari, Aline et les autres enfants retenaient leur souffle. Prestement Elliot se rapprocha de Pascaline qui l’accueillit, le plaçant devant elle, les mains sur ses épaules. Il se sentait plus sûr de lui et c’est sans se démonter qu’il répondit à la question de sa mère : il en avait eu assez de les entendre crier alors il avait fait comme son père lorsqu’il les laissait le dimanche pour aller manger tout seul dans sa voiture : il était parti …

La stupeur figea Angélique une fraction de seconde puis, pivotant sur place, elle fit face à son mari. Sentant l’orage venir, Pascaline invita les enfants à gagner le jardin, chargeant Elliot d’y amener la troupe. Le garçon, ne se le fit pas répéter tant il lui paraissait incroyable d’échapper à la colère maternelle.

Pascaline invita ensuite les adultes à la suivre dans sa chambre où, par ailleurs, elle comptait bien ne pas s’incruster. La porte à peine refermée, Angélique explosa ; personne ne lui dicterait sa conduite et surtout pas celle qui avait détruit leur famille. Le regard furibond elle ajouta qu’elle avait le sens du devoir et savait où était ses responsabilités. Ce n’était pas sa faute si elle n’était entourée que d’incapables, avait-elle ajouté.

Sa tirade fit l’effet d’un détonateur sur mari. L’attrapant par le bras il l’obligea à s’asseoir pour l’écouter. Pascaline et sa fille se dirigèrent vers la porte, elles n’avaient pas l’intention d’assister à la scène qui s’annonçait ; récupérer les enfants, les rassurer au besoin était leur priorité.

 

Ce qui s’est dit, Pascaline ne l’a jamais vraiment su. Tout juste a-t-elle pu l’imaginer en regardant vivre ses arrières petits enfants les jours qui ont suivi la fugue d’Elliot puis en écoutant sa fille.

Depuis ce jour, Angélique peine à lâcher prise et si la survie du couple reste un point d’interrogation, Elliot et ses sœurs ont su tirer partie de la situation. Les tutus, la raquette sont d’ors et déjà remisés et leur père semble avoir à cœur de s’investir davantage auprès d’eux. Reste à savoir s’il saura ne pas en faire trop et arrivera à faire en sorte que lui et Angélique soient complémentaires !  

Pascaline se doute bien qu’elle ne reverra pas de sitôt sa petite fille, si elle la revoit, il y avait bien trop de haine dans ses propos. Elle lui a cependant écrit une lettre car elle n’arrive pas à porter seule la responsabilité de la faillite familiale. Elle aimerait tant arriver à lui faire comprendre que chacun doit vivre selon ses aspirations, que rien ni personne ne peut obliger un être humain à se voir imposer des vues incompatibles avec ce qu’il est. Les humiliations, les coups … pourquoi aurait-elle dû continuer à supporter ? Son seul crime est d’avoir trop attendu pour partir !

Reste à savoir si cette lettre aidera Angélique ?

Mais cela n’est plus vraiment son problème ; après tout elle a vécu si longtemps sans elle, si cela devait continuer, tant pis !

Do

Ps. Si le sujet vous intéresse voici un lien intéressant : http://www.corps-esprit.net/article-darpan-pourquoi-ne-puis-je-etre-pleinement-moi-meme-111714940.html

J’ai découvert ces vidéos tout à fait passionnantes.

 

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29 septembre 2013 7 29 /09 /septembre /2013 16:38

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Un petit matin d’été, à l’ouverture du marché…

Mme Grossein

Bonjour, madame Poteau, on dirait qu’il va encore faire chaud, hein ?

Mme Poteau

Ah, bonjour, madame Grossein ! Oui ! Mais heureusement, ça ne va pas durer ; ils ont dit qu’il allait pleuvoir…

Mme Grossein

Hé bien, ça ne fera pas de mal ! C’est trop brutal, cette chaleur ; on n’a pas eu le temps de s’habituer. De toute façon, il nous faut de la pluie ; à la télé, hier, ils expliquaient que malgré le printemps pluvieux, les nappes phréatiques étaient à leur niveau le plus bas depuis des années !

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Mme Poteau

Oui, j’ai entendu ça, moi aussi. Et c’est pas le petit orage d’il ya trois jours qui a dû changer quelque chose…

Mme Grossein

Pensez donc, quatre gouttes ! Ce n’est pas assez ! Enfin, ceci dit, comme maintenant, dès qu’il pleut ça fait des catastrophes, ce n’est peut-être pas plus mal !

Mme Poteau

C’est sûr. J’espère en tout cas qu’il ne fera pas aussi chaud qu’hier. On est passé de l’hiver à l’été sans transition… Ah ça, on voit bien que tout est détraqué ! C’est pas étonnant, avec tout ce qu’on envoie dans l’atmosphère ! L’autre jour, ils ont montré des photos de l’espace tout autour de la Terre… Affolant ! Tout ça, ça va bien nous retomber dessus un de ces quatre ! Et en attendant, ça modifie le climat, évidemment. Ah, c’est pas réjouissant, tout ça !

Mme Grossein

En tous les cas, moi, ça y est : je me suis fait installer la climatisation. Et quand il fait trop chaud, je ne sors plus de chez moi ! C’est pour ça que je viens de bonne heure au marché, voyez-vous ?

Mme Poteau

Oui, dites-donc, c’est vrai que vous êtes bien matinale aujourd’hui !

Mme Grossein

Il faut dire qu’en plus, j’ai rendez-vous au médecin dans une demi-heure !

Mme Poteau

Ah bon ? Des problèmes de santé ?

Mme Grossein

Oh, pas vraiment… Mais vous savez, à nos âges, il y a forcément toujours un petit quelque chose qui ne va pas ! Une petite visite tous les mois, ça ne peut pas faire de mal pour conserver la santé !

Mme Poteau

Ah ça, et la santé, c’est notre bien le plus précieux… Tiens, au fait, vous êtes au courant pour madame Bourrel ?

Mme Grossein

Non, qu’est-ce qu’elle a fait ?

Mme Poteau

Elle n’a rien fait, la malheureuse, c’est son mari ! A ce qu’il parait, il aurait la maladie d’Almezer…

Mme Grossein

Ah, c’est terrible… Elle ne va pas pouvoir le garder chez elle longtemps. IL a quel âge ?

Mme Poteau

Je dirais plus de quatre vingt cinq ans…

Mme Grossein

J’espère qu’elle a les moyens de payer une maison de retraite ; elle va être obligée d’y penser.

Madame Poteau (baissant la voix)

Elle n’est pas à plaindre, vous savez… Elle a plusieurs maisons, des terres… C’est une famille qui a du bien. Enfin, pour l’instant, elle n’en est pas là.

Mme Grossein

Bon. Notez qu’il y a des aides, aujourd’hui pour ceux qui ne peuvent pas payer. C’est comme dans la vie active ! Ceux qui n’ont rien sont presque mieux lotis que les autres ! Ah, ah, ah !!!

Mme Poteau

Et puis ils ont peut-être anticipé ? Parce qu’il ya des assurances maintenant !

Mme Grossein

Pour… Almezer ?

Mme Poteau

Non, pour prévenir la dépendance… Moi, je dis qu’il faut y penser quand on est valide et encore jeune. Un accident est vite arrivé. On peut tomber, se faire renverser… Le fauteuil-roulant, ce n’est pas que pour les autres, hélas !

Mme Grossein

Hé oui ! Mais il n’y a pas que ça ! J’ai lu, dans le journal de ma mutuelle qu’on pouvait prendre une assurance pour le cancer !

Mme Poteau

Bien sûr ! Ma mutuelle, à moi propose un « pack » intéressant : cancer, maladie cardiaques, diabète, et puis je ne sais plus quoi d’autre encore. C’est très complet. Je me demande si je ne vais pas le prendre.

Mme Grossein

C’est vrai qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver.

Mme Poteau

Absolument ! Mieux vaut être bien assuré. C’est comme le vol ; ça vous tombe dessus sans prévenir. Avec toute la racaille qui rôde, tous ces oisifs, ces assistés…

Mme Grossein

C’est vrai que ça fait peur. Il y a eu trois cambriolages dans ma rue en huit jours ! Je viens de prendre rendez-vous pour faire poser une alarme.

Mme Poteau

Une alarme, c’est bien joli, mais s’ils rentrent quand vous êtes dedans ? Vous avez vu, ces retraités qui se font agresser, séquestrer, « saucissonner », comme ils disent ? C’est presque tous les jours dans le journal ! Mon voisin a une carabine, mais moi je ne saurais pas me servir de cet engin-là. Je n’ai plus rien chez moi, j’ai pris un coffre à la banque. Mais ils ne sont pas censés le savoir ! Alors dès qu’il fait nuit, je me boucle chez moi… Et ça ne m’empêche pas d’avoir peur !

Mme Grossein

C’est pour ça que je suis bien contente d’avoir mon chien. Au moins, ça prévient.

Mme Poteau (se penchant pour caresser le petit chien de Mme Grossein)

Oui, et puis c’est une compagnie. C’est un garçon ou une fille ?

Mme Grossein

Une fille. J’ai toujours eu des chiens. Croyez-moi, ça vaut souvent mieux que bien des humains ! Il ne leur manque vraiment que la parole…

Mme Poteau

Je vous crois ! Mais j’en reviens au vol… Ma cousine, qui habite la ville voisine, a été cambriolée l’année dernière. Hé bien son chien ne lui a servi à rien, figurez-vous : ils ont envoyé des gaz pour endormir tout le monde et après, ils ont fait leurs petites affaires tranquillement. Ni vu ni connu.

Mme Grossein, opinant du chef

Il faut dire qu’il y a tellement de gens qui n’ont rien à faire… Tout ça, ça tourne en rond, ça rôde, ça cherche de l’argent facile … C’est terrible, on n’est plus en sécurité nulle-part !

Mme Poteau

En tous les cas, on ne peut pas dire que le changement de gouvernement ait amélioré les choses ! Au début, on se disait qu’il fallait leur laisser le temps, mais ça fait deux ans, maintenant… Et rien ne change. Toujours autant de parasites, de pique-assiettes… Et ce sont toujours les mêmes qui se font plumer !

Mme Grossein

Hé oui, on peut dire que gauche ou droite, tout ça c’est du pareil au même !

Mme Poteau

En tous les cas, on sait pour qui voter, maintenant.

Mme Grossein

Ha bon ? Vous savez, vous ?

Mme Poteau

Oui, bien sûr ! Pour ceux qu’on n’a jamais essayés. Ils ont des solutions, eux, et à mon avis, ils n’hésiteront pas à les appliquer.

Madame Grossein (chuchotant avec prudence)

Vous voulez dire le « FN » ?... Je ne sais pas… Moi, ça me fait un peu peur, quand-même…

Mme Poteau

Mais non, ça n’a plus rien à voir avec le passé, les nazis, tout ça… Ils ont changé ! C’est un parti comme les autres, maintenant ! Ecoutez la Marine, la prochaine fois ; vous verrez, ce qu’elle dit est très censé !

Mme Grossein, dubitative…

Quand-même…

Mme Poteau

La France a besoin d’un grand ménage ! Et eux, ils le feront. Il y a trop d’étrangers chez nous. Un point c’est tout.

Mme Grossein

Vous avez peut-être raison…

Mme Poteau

C’est certain ! Et ça me fait penser… Vous êtes allée à la réunion de la mairie au sujet des logements sociaux ?

Mme Grossein

Non, je n’ai pas eu le temps. Alors ? Qu’est-ce qui s’est dit ?

Mme Poteau

Mais c’est qu’ils ont l’air d’y tenir ! Vous vous rendez-compte ? Ça va nous amener des gitans et des arabes tout ça ! Les gens n’étaient pas contents. Je crois qu’il y a une pétition qui circule, d’ailleurs. Je vais me renseigner ; j’aimerais bien la signer.

Mme Grossein

Vous me tiendrez au courant ? Je signerai aussi. Et ça se ferait où, exactement ?

Mme Poteau

Dans le secteur est du village ; derrière la scierie. Vous voyez, cette grande friche ? C’était des vignes, avant…

Mme Grossein, effrayée

Ah ! Mais c’est juste derrière chez moi, ça ! Mais pourquoi ils ne font pas ça de l’autre côté ? En allant vers la zone commerciale ? Ce serait bien plus logique !

Mme Poteau

Impossible, il parait que c’est inondable.

Mme Grossein, haussant les épaules

Oh, ben écoutez, hein…

Mme poteau, se penchant vers Mme Grossein en lui tapotant le bras avec connivence

C’est exactement ce que je pense…

 

Un blanc dans la conversation… Madame Grossein et madame Poteau se promènent dans les étals en adressant des petits saluts à leurs connaissances…

Mme Grossein

Ah, au fait… Vous avez vu madame Courtecuisse ces temps-ci ?

Mme Poteau

Non, elle est partie garder ses petits-enfants à Marseille… Sa fille s’est fait plaquer par son mari. Trois enfants, vous vous rendez-compte ?

Mme Grossein

De nos jours, plus personne ne sait assumer ses responsabilités. Divorcer est devenu trop facile ! A notre époque, l’engagement du mariage, c’était sacré ! On savait composer avec les difficultés !

Mme Poteau

Remarquez, madame Courtecuisse, ça ne doit pas la changer beaucoup. Sa fille a toujours eu recours à elle comme garde d’enfant. C’est pas facile pour les jeunes aujourd’hui. Travailler et avoir des enfants en même temps… Ça revient cher de les faire garder !

Mme Grossein

Hé oui, la vie change. De notre temps, on restait à la maison et on s’occupait des enfants. Mais maintenant, les femmes veulent travailler… Que voulez-vous ? On ne peut pas tout avoir !

Mme Poteau, un ton plus bas

En plus, cette pauvre femme… Madame Courtecuisse… Hé bien, il parait que son fils s’est mis en ménage… avec un homme.

Mme Grossein

Hé ben dites-donc ! Et quand je pense qu’ils ont fait passer leur loi et qu’ils vont pouvoir se marier ! C’est un scandale, non ?

Mme Poteau

Et le pire, c’est qu’ils vont pouvoir adopter des enfants !

Mme Grossein

Pfff ! Mais pas besoin d’adopter ! Ils vont se faire faire des gosses par des mères porteuses ! Avec un peu d’argent, tout est facile ! Et quand je pense qu’il y a des femmes qui louent leur ventre pour… Oh ! Le monde devient fou !

Encore quelques pas… Une femme passe… Elles se saluent avec de grands sourires… La femme s’éloigne et elles la suivent des yeux un moment.

Mme Poteau, se penchant à l’oreille de Mme Grossein

Cette pauvre « Chinetoque »… Elle ne se voit pas vieillir ! A-t-on idée de s’habiller comme ça à son âge ?

Mme Grossein, secoue la tête d’un air désapprobateur

J’ai entendu dire qu’elle fricotait avec le patron du restaurant « Le carrefour »…

Mme Poteau

Non ! Oh !... Notez que j’aime mieux pour elle que pour moi ! Il n’a rien de bien ragoûtant !!!

Elles étouffent quelques éclats de rire, avant de reprendre leur déambulation au milieu des étals.

Mme Poteau

C’est pas donné tout ça, vous ne trouvez pas ?

Mme Grossein

C’est le moins qu’on puisse dire ! Et ce n’est pas la qualité d’antan. L’autre jour, j’ai acheté des pêches ; j’aurais pus assommer un cheval avec !... De temps en temps, j’achète quelques produits là bas… Elle fait du bio.

Mme Poteau, l’air dubitatif

Oh non, pas moi. Du bio, du bio… Qu’est-ce qui nous prouve que ça l’est vraiment ? Et ils en profitent pour nous le vendre plus cher. Non, non, pas de bio pour moi. C’est du snobisme, tout ça.

Mme Grossein

Elle a de bons produits, quand-même…

Mme Poteau, le front têtu

Oui, ben, moi, j’attendrai qu’elle fasse des prix abordables. Je ne vois le marchand de tissu… Je voulais en acheter pour me faire une « cantinière » pour mes rideaux…

Mme Grossein, consultant brusquement sa montre :

Ah oui… Non, il n’est pas venu, ce matin. Oh mais dites-donc, je vais rater mon rendez-vous, moi ! Je vous laisse, le temps d’y aller…

Mme Poteau

Ne courrez pas ! Avec nos trottoirs tout défoncés, vous auriez vite fait de tomber… Allez, bonne journée, Mme Grossein !

Mme Grossein

Bonne journée aussi à vous !... Ah ! Vivement qu’elle arrive, cette pluie !

 

***

 

* Pour ceux qui l’ignore encore (on ne sait jamais) : RLP = Radio Langue de Pute

 

Mme Poteau et Mme Grossein ont existé… Mme Courtecuisse et La « Chinetoque » aussi. Je ne sais pas si elles auraient tenu ce discours, je ne sais pas ce qu’elles pensaient de la vie, de la gauche, de la droite, des émigrés… et je leur demande pardon, même si elles ne sont plus de ce monde pour les propos que je leur ai fait tenir. Je ne sais qu’une chose : leurs noms ont enchanté mon enfance. Ils me sont revenus comme une évidence pour ce petit dialogue imaginé à partir de bribes entendues à gauche et à droite, sur le marché ou ailleurs… Et vive la France !

Frédo

 

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14 septembre 2013 6 14 /09 /septembre /2013 15:22

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Jules a vingt huit ans et une belle réussite à son actif. Un beau parcours, en vérité…

Ses parents ont toujours eu une beaucoup d’ambition pour lui et ont su lui donner le meilleur. Après la crèche, il est entré à l’école maternelle à l’âge de deux ans et demi, bénéficiant ensuite d’un passage anticipé au cours préparatoire ; puis il a fait un parcours sans faute jusqu’à son bac, obtenu à l’âge de dix sept ans, avec mention « très bien », s’il vous plaît. Comme ses parents travaillaient tous les deux, il a toujours fréquenté la cantine, les garderies et les centres de loisirs, sans parler des colonies de vacances, une fois par an, ce qui lui a permis de découvrir la France, côté mer ou côté montagne, selon ce que ses parents décidaient pour sa santé. La collectivité, Jules en a fait le tour ! Au début, il avait du mal à supporter les autres, il s’en souvient parfaitement. Tout l’agressait… Le bruit, le mouvement incessant, l’impossibilité de s’isoler, de vivre à son rythme, l’obligation de toujours suivre la masse, quelque soit ses propres aspirations. Dix heures par jour, cinquante heures par semaine… Plus que ses parents ! Il attendait avec impatience le retour chez lui pour souffler un peu, se retrouver lui-même et profiter de ses jeux sans qu’aucun autre enfant ne vienne empiéter sur son territoire. Mais ces moments de répit étaient rares.

Enfant unique, ses parents avaient à cœur de l’inscrire à toutes sortes d’activités extrascolaires sportives ou musicales ; c’était indispensable selon eux pour que leur fils s’épanouisse et apprenne à mieux se connaître. Sans parler des rendez-vous réguliers avec les différents membres du corps médical pour veiller à le maintenir dans une bonne forme physique : orthophoniste, ophtalmo, orthodontiste… Non, Jules n’étaient pas souvent chez lui. Ses parents non plus, d’ailleurs.

Alors qu’il fréquentait l’école élémentaire, Jules avait un emploi du temps de ministre : cours de piano, -il avait voulu étudier la batterie, mais ses parents lui avaient opposé un véto catégorique: trop bruyant-, et entraînement régulier de football. Son père avait beaucoup insisté pour qu’il pratique un sport collectif. L’esprit d’équipe, c’est important dans la vie professionnelle.

Jules avait des petits talents, figurez-vous… Une bonne oreille et un sacré coup de crayon ! Il avait eu envie de s’inscrire à des ateliers d’arts plastiques ; mais ses parents avaient jugé qu’il ne fallait pas non plus trop en faire.

La musique, ça marchait bien ; Jules aimait vraiment cela et il était doué. Satisfait, son professeur l’inscrivit rapidement à des concours. C’était dans la logique des choses mais cela ne lui plaisait pas beaucoup. Par ailleurs, il y avait les matchs de foot, le mercredi ou le week-end…  Jules aurait vraiment aimé qu’on lui fiche la paix de temps en temps. Mais pas question de se reposer sur ses lauriers : les vacances en famille étaient consacrées à la découverte de l’histoire « in situ », châteaux, musées, sites archéologiques, curiosités géologiques, et on n’oubliait jamais les cahiers de vacances.

Jules était un élève brillant. Savant, même. Il savait beaucoup de choses, et même parfois trop ! Ses professeurs lui demandaient souvent de se taire : il fallait laisser les petits copains répondre de temps en temps, quand-même.  Evidemment, bien souvent, Jules se sentait frustré, d’autant que les autres enfants avaient eu vite fait de le prendre en grippe. Jules Kisaitou, on l’appelait. Ça l’agaçait prodigieusement. Mais cela ne le touchait pas trop car la plupart étaient des ânes, des cancres. Il n’avait pas vraiment de copain, mais il s’en fichait ; aucun autre enfant ne valait qu’on s’intéresse à lui de toute façon. Dès la seconde année d’élémentaire, il l’avait compris : il fallait qu’il soit le meilleur. La collectivité, ça servait à ça : apprendre à se détacher du lot et à écraser les autres.

Au collège, ses parents décidèrent de lui faire abandonner la musique. Les choses devenaient sérieuses ; il fallait se consacrer aux études. Par contre, ils décidèrent de lui maintenir une activité sportive, acceptant de changer le foot pour du tennis, Jules ayant des difficultés avec les sports violents.

Jules était devenu le meilleur et faisait la fierté de ses parents qui visait pour lui les plus hautes sphères de l’Etat. Les colonies de vacances avaient été remplacées par les séjours linguistiques, en Angleterre, aux Etats-Unis… Dès la fin du collège, on lui demanda ce qu’il envisageait pour son avenir. Avec ses résultats scolaires, s’il continuait comme ça, il pourrait intégrer une Grande Ecole, faire partie des élites de la Nation. Jules se voyait déjà ministre, et même président de la République, pourquoi pas ? Mais surtout, il espérait gagner beaucoup d’argent, avoir une grande maison, et même plusieurs, une en ville, une au bord de la mer, avec une piscine… Il conduirait une voiture de sport ; il pourrait même se payer un bateau. C’est cela, qu’il voulait, Jules : gagner un maximum d’argent pour pouvoir se payer toutes ses envies.

Jules était entré en « prépa » à 17 ans, seul mineur de sa promotion. Difficile. Les conditions d’hébergement des pensionnaires étaient plus que spartiates : chambres insalubres et mal éclairées, literie sale et inconfortable, nourriture pire qu’en régime hospitalier, sanitaires douteux. Le premier jour, ses parents avaient déjà dû lui acheter en catastrophe un matelas digne de ce nom, des draps, un oreiller et un duvet de camping, sans oublier une lampe correcte pour pouvoir étudier et une étagère pour ranger ses livres. Les professeurs avaient des exigences infernales : celui de français imposait à tous d’écrire à l’encre bleue exclusivement ; celui de mathématiques voulait que les élèves arrivent vingt minutes avant l’heure du cours pour être sûr de commencer à l’heure précise. Aucune fantaisie n’était admise dans l’achat des fournitures : lorsqu’une référence de livre était donnée, avec un format précis et une année d’édition, c’est celui-là qu’il fallait trouver et pas un autre. Tous les élèves devaient avoir le même livre. Et c’était la même chose pour tout. La vie était monacale, pour ne pas dire militaire.

Mais Jules était déterminé à réussir. Il était là pour travailler, de toute façon, et il ne faisait plus que cela. Plus rien d’autre ne comptait : ni musique, ni sport désormais, ni la moindre activité artistique ne venait égayer ses journées consacrées à l’étude. Il était sérieux, ne se mêlait jamais aux fêtes régulièrement organisées par ses copains de promo pour décompresser, orgies, beuveries, coucheries ; ça n’était pas son truc et ses parents l’avaient mis en garde contre ces dangereuses dérives. Les filles, il les regardait de loin ; il avait le temps d’y penser. Les études avant tout.  Il passait les week-ends et les vacances chez lui sans mettre le nez dehors. Il étudiait nuit et jour, soutenu par un savant cocktail de vitamines et de compléments alimentaires. Il était pâle à faire peur, mais il était toujours le meilleur !

Jules est devenu une bête à concours… Il a tout enchaîné, remporté tous les lauriers. Bardé de diplômes, il regarde vers l’avenir avec confiance. A vingt-huit ans, il vient d’obtenir un premier poste et il ose à peine dire à ses parents combien il va gagner ! Il va pouvoir se payer tout ce dont il a rêvé, d’autant qu’il aura le temps de mettre de l’argent de côté s’il doit travailler quarante cinq annuités !!!

Depuis deux ans, il fréquente une jeune fille, Juliette. Elle est brillante, elle aussi. A présent, ils ont envie de se marier, d’avoir des enfants.

Oui, Jules a réussi.

Quelques mois plus tard…

Jules et Juliette sont comblés ; un heureux évènement se profile à l’horizon. Juliette plaisante :

- C’est bien, il va naître en janvier… On pourra lui faire faire un passage anticipé…

Le cœur de Jules se serre. En un éclair, il s’est revu enfant, perdu dans la cour de l’école primaire, étranger aux ébats joyeux des autres enfants. Il déglutit péniblement. Sa salive a un goût amer tout à coup. Un passage anticipé et un tiers de sa vie à étudier ?

Mais c’est quoi, cette vie ?

Fredo

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