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8 janvier 2023 7 08 /01 /janvier /2023 20:08

Barjac est le type de village qui tout de suite vous parle au cœur. Les parkings sont signalés, à proximité du centre village et gratuits. Le patrimoine architectural est superbe ce qui ne l’empêche pas d’être animé, les commerces ne l’ayant pas déserté.

Nous y avons même trouvé une quincaillerie exceptionnellement bien achalandée.

Marqué par les conflits entre protestants et catholiques, riche d’une nécropole de quinze dolmens, Barjac a un passé minier et soyeux !

Mais qu’est-ce donc ?

Il s’agit de l’industrie de la soie, la sériciculture ou éducation du ver à soie ! Née en Chine, la sériciculture nous est parvenu en Occident par deux moines grecs et bien que l’on associe généralement cette activité à la ville de Lyon, c’est dans les Cévennes et plus spécialement dans le Gard qu’au XIIIe siècle elle s’est développée. C’est également cette activité qui est à l’origine de l’essor du mûrier dans le sud de la France. Quand en 1850 une épidémie foudroyante les ravagea, il fut fait appel à Pasteur en résidence temporaire à Alès pour y remédier.

Vézenobres est lui aussi un superbe village, labellisé petite ville de caractère. Par contre côté parking, rien pour les « gros ». On se débrouille « a la buena de Dios ».

Ancien oppidum, Vézénobres se trouve au carrefour des Cévennes et de la Provence et fut habité au fil du temps par des Ligures, des Celtes, des Volces et des Romains. Une voie romaine axe de pèlerinage et de commerce relie le littoral méditerranéen à la France du nord : le Chemin de Régordane. Empruntée par César pour traverser les Cévennes, l'itinéraire, long de 240 km, relie le Puy-en-Velay à St Gilles du Gard. Cette voie est encore d'actualité grâce à sa reconnaissance en itinéraire de Grande Randonnée (GR700).

Le village a connu une grande prospérité du XIème au XIIIème siècle et a conservé un superbe ensemble architectural. Sériciculture, viticulture ont également généré des demeures de qualité, inspirées des villes proches, ainsi que des mas fastueux en périphérie.

Vézénobres fut célèbre pour sa production de figues sèches et aujourd’hui le village accueille un verger-conservatoire du figuier : un millier d'arbres représentant plus de 100 variétés différentes ont été plantés en 2000, 2004 et 2006 sous l'égide du Conservatoire Botanique National situé sur l'île de Porquerolles.

Cinq portes fortifiées contrôlaient les entrées et sorties du village, seule la porte de Sabran subsiste surmontée d'un clocher et de l'horloge.

Les châteaux encore debout ne se visitent pas, reste la possibilité d’admirer le seul pan de mur encore debout du château médiéval mais ce n’est pas grave car le village est vraiment magnifique. Le souci du détail et puis évidemment des commerces et restaurants ouverts rendent la visite charmante.

En décembre il semble, je n’ai pas vérifié, que la coutume veuille que chacun installe une crèche devant son pas de porte, sur un appui de fenêtre, une place même près de la Mairie !!!! et personne ne s’en offusque. Les habitants rivalisent de créativité, il y a de l’émulation dans l’air, c’est chouette et invite à ne pas oublier la moindre impasse pour ne rien perdre du plaisir de la découverte.

C’est rassurant somme toute en cette période de « chasse aux sorcières ». Je vais peut-être encore déplaire mais après tout la crèche fait partie de notre culture chrétienne ! En quoi devrait-on renoncer à ce qui fait un de nos particularismes. Personnellement nous avons quand même pas mal voyagé et c’est tout naturellement que nous nous conformions aux coutumes locales et si quelque chose ne me convenait pas, je passais mon chemin.

Dominique

 

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7 janvier 2023 6 07 /01 /janvier /2023 16:05

Bonus

Juste quelques photos pour vous donner une idée de ce que fut le travail de reconstitution de la grotte. Cela nous a fait penser à notre visite des coulisses de la reconstitution des temples d’Abu Simbel à Assouan en Egypte.

 

 

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6 janvier 2023 5 06 /01 /janvier /2023 20:31

L’aménagement de Chauvet 2 est parfaitement pensé pour permettre aux visiteurs d’appréhender la richesse de ce site. Des ateliers temporaires à destination des enfants mais aussi pour les adultes qui osent se lâcher !!! un pôle plus didactique, la Galerie de l’Aurignacien, nous sont proposés.

N'oublions pas ce qui pour nous a été un vrai régal, un spectacle immersif à 360° intitulé « Animal ».

Rendues à notre XXIe siècle par notre guide, une jeune femme épatante qui sait fort bien partager ses connaissances, nous avons filé dès la sortie de la grotte jusqu’à celle dite « grotte atelier » au pôle pédagogique. A peine arrivées, armée de mon charbon de bois je m’apprêtais à aller orner un petit pan de cette reconstitution quand j’ai été stoppée net dans mon élan par une jeune femme ayant en charge l’animation. Instructions reçues 5/5, nous nous sommes livrées avec bonheur à nos activités graphiques et avons d’ailleurs été chaudement félicitées pour nos prestations.

Nous avons devisé avec cette jeune animatrice un bon moment toutes heureuses de voir qu’il y avait encore des (jeunes) passionnés par tout ce qui touche à l’Histoire, la culture, comme notre guide d’ailleurs. Certains de vous vont peut-être bondir à ces propos pourtant je ne suis pas seule à poser ce constat. Ayant révélé notre ex-profession elle nous a confirmé ce que nous avions déjà constaté, à savoir que les enfants étaient de plus en plus malhabiles avec l’outil scripteur et avaient bien des difficultés à se concentrer sur tout support autre que le téléphone portable ou une tablette ! Lorsque l’on sait que le fait d’écrire (à la main) a une incidence bénéfique sur la construction des réseaux neuronaux et la mise en place d’une pensée organisée (et quelque soit notre âge) il y a de quoi s’inquiéter (si l’on est complotiste évidemment).

Nous avons ensuite terminé notre découverte avec un moment dès plus réjouissant. Après avoir pénétré dans une immense salle aux murs recouverts de copies de toiles de maîtres, Le Douanier Rousseau, Dali, Léonard de Vinci et bien d’autres, des reproductions des peintures et gravures de la grotte, des estampes japonaises… nous nous nous sommes retrouvées immergées dans un spectacle au sein duquel chacun déambule à son gré. Il m’a fallu un petit instant avant de réaliser que les tableaux s’animaient, que les animaux mis en scène se baladaient d’un tableau à l’autre jusqu’à ce que tout se délite et que passé, présent et futur se mêle.

Au moment où un mammouth m’a doublée dans ma déambulation, je me suis sentie happée par le film, surprise de chercher à lui emboîter le pas. Fascinant !

Si le cœur vous en dit, juste un petit clic pour découvrir le petit film que nous avons réalisé : https://youtu.be/FPJTtDJs9dM

Alors ?! Tenté par l’expérience ?

Par contre le village de Vallon Pont d’Arc en décembre est absolument sinistre et ne mérite pas de s’y arrêter. On voit bien les dégâts générés par le tourisme quand les élus oublient que la vie ne se résume pas aux périodes estivales. Mis à part un boucher-charcutier dans le cœur du village, pas de boutique ouverte, rien que des rideaux de fer de commerces éphémères baissés ! Boulangerie, pharmacie, supérette ont été déplacées en périphérie à proximité des grands parkings. Le village est mort et même en cette saison les moins vaillants doivent avoir recours à la voiture pour se ravitailler ! Lamentable.

Quant à l’aire de camping-cars, elle nous a fait fuir mais c’était un mal pour un bien. A quelques kilomètres le village de Sampzom nous a accueillies. Rien que nous toutes seules en pleine Nature !

Dominique

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5 janvier 2023 4 05 /01 /janvier /2023 16:10

Le 18 décembre 1994 trois spéléologues, deux hommes et une femme, explorent les environs du célèbre Pont d’Arc sur l’Ardèche.

A cet endroit une falaise décrit un arc de cercle et tout un fouillis végétal s’étend à ses pieds.

Bien évidemment ils savent très bien que ces lieux furent très « visités » par nos ancêtres, la région est trouée comme un gruyère et les vestiges abondent. Un coulis d’air émanant d’une faille dans la paroi rocheuse les alertent soudainement, ce courant d’air est à coup sûr le signe qui ne trompe pas et ils vont faire ce que jamais au grand jamais je ne me serais risquer à faire, se faufiler dans un étroit boyau rocheux jusqu’à émerger dans une cavité permettant de se redresser. La suite tout le monde la connaît…

La grotte Chauvet, du nom d’un des trois spéléologues, aujourd’hui elle serait baptisée sans doute du nom de Eliette Brunel, au nom de la parité très en vogue, ne sera jamais ouverte au public. L’expérience de Lascaux a été assimilée, une reproduction permettra au public de découvrir ce site inscrit aujourd’hui au patrimoine de l’Humanité.

Nous n’en sommes pas à notre première grotte ornée, Lascaux, Altamira en Espagne, Pech Merle (ce n’est pas une reproduction) tout comme les abris peints des environs d’Albarracin (province de Teruel en Espagne) nous ont déjà régalées de leurs trésors, mais là franchement c’est émouvant et confondant tant le graphisme est « moderne ».

La grotte ne fut jamais un lieu de résidence, les « artistes » y venaient uniquement pour y exercer leur art et franchement c’est un sacré témoignage. Outre que nous pouvons ainsi connaître la faune locale de l’époque et donc en déduire la flore, il est possible de deviner leur régime alimentaire et à de nombreux détails la nature de leurs vêtements, leur mode de vie. Nous pouvons aussi nous interroger sur leur spiritualité car, outre certains vestiges troublants, qu’est-ce qui pouvait bien pousser ces humains à venir dans le noir presque total, les torches et lampes à graisse ne sont guère aveuglantes, couvrir des pans entiers de roches de bisons, chevaux, rhinocéros, ours, mammouths, lions… il y a même un hibou !?

La maîtrise de leur art a de quoi rendre jaloux n’importe quel artiste connu, aussi bien peintre que graveur. Il y a 36 000 ans, ils ont peint à l’ocre rouge, tracé au charbon de bois ou au doigt toute une faune aujourd’hui disparu, maîtrisant l’art de rendre le mouvement, l’estompe, la perspective… et ce dans l’obscurité ! J’insiste.

La fresque des lions qui clôt la visite est un pur chef d’œuvre. Une petite centaine d’animaux cavalcadent sous nos yeux.

La reconstitution de la grotte originale se situe sur un plateau calcaire dominant l’Ardèche et l’Ibie et a été orchestrée par les spécialistes de Lascaux passés maître en la matière (ils ont œuvré à Altamira). Installée au sein d’un espace boisé entièrement dédié à la découverte de l’histoire de ce lieu hors norme, différents points d’intérêt installés au milieu de la végétation nous révèlent la naissance de cette grotte dont la gestation fut quand même très mouvementée.

Juste une anecdote, mais de taille pour comprendre !

Il y a 5,6 millions d’années, un accident géologique majeur entraîne la surélévation du détroit de Gibraltar, la Méditerranée se ferme et se vide quasiment de toute son eau en 1500 ans. Encore aujourd’hui l’apport hydrique des fleuves ne peut compenser l’évaporation de ses flots d’où le fait qu’elle soit salée et cela s’accentue.

Les fleuves et rivières qui dépendent du bassin versant de la Méditerranée se mettent à creuser leurs lits, c’est le cas de l’Ardèche. La grotte qui nous intéresse et qui était ennoyée se vide.

300 000 ans plus tard, rebelote, la terre tremble sur Gibraltar et un passage se ré-ouvre, l’Atlantique déverse ses flots à raison de 100 millions de mètres cubes par heure. La Méditerranée se remplit en quelques mois seulement et dépasse même son niveau initial. Les cours d’eau cessent de creuser et la grotte est de nouveau noyée, la mer occupe une partie de la vallée du Rhône.

Mais notre Terre est vivante, nous l’oublions souvent, la collision des plaques tectoniques africaine et européenne en provoquant la surélévation des massifs Alpin et Pyrénéen, occasionne une reprise de l’érosion des fleuves et la mise hors d’eau définitive de la grotte qui après plusieurs périodes glaciaires acquiert l’aspect que nous lui connaissons aujourd’hui à quelques stalactites et stalagmites près.

Voici déjà comme mise en bouche quelques photos pour vous présenter ces sublimes gravures et peintures. Toutes les photos présentées sont celles du photographe Patrick Aventurier et téléchargeables sur le site !

La suite pour demain mais une question auparavant, juste pour savoir qui a le courage de lire un article jusqu’au bout : « qu’est-il arrivé à la Méditerranée aux temps géologiques ? Si vous n'arrivez pas à laisser de commentaire, vous pouvez répondre par mail voir SMS !

Dominique

 

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4 janvier 2023 3 04 /01 /janvier /2023 17:14

Parties sous un ciel « crachoutailleux », un beau soleil nous accueillait à notre arrivée à Laroque sur Cèze, première halte de notre second jour.

La visite faillit pourtant tourner court par manque de parking disponible. Pas grande possibilité pour les véhicules de tourisme, les parkings étant fermés et rien pour les « hors gabarit ». Nous avons fini par nous faire tout petit à l’entrée de l’aire de stationnement de camping-cars, pas question de payer 24h de stationnement pour une heure de visite. Nous voulons bien contribuer à l’entretien des villages mais il y a quand même des limites.

Classé parmi les plus beaux villages de France, c’est avant tout un village résidentiel possédant un superbe pont qui adapté aux carrioles médiévales donne la chair de poule aux automobilistes tant il est étroit.

Pas de commerce, juste des restaurants ou des magasins d’artisanat fermés. Par contre les chasseurs y sont très présents et se baladent même fusil prêt à tirer au mépris des règles de sécurité.

Autre point noir les calades pavées de galets très très glissants.

Nous avons subitement attrapé cent ans en imaginant notre future descente. Pas vraiment tentées par l’aventure, avisant une voiture au point le plus haut, où se trouvent château et chapelle qui ne se visitent pas, futées, nous avons misé sur la présence d’une voie carrossable et regagné le village et son lavoir au terme d’une jolie balade au sein des cistes, pins et oléastres.

A quelques encablures de là nous avons ensuite grimpé jusqu’à Cornillon tout encore enclos dans ses remparts. Posté en sentinelle au-dessus de la Cèze, il nous a été tout de suite très sympathique même si là aussi les calades sont pentues. De toute façon les noms de rues annoncent la couleur, rue Rompe-cul, rue des casse-cous. Vous comprendrez nos hésitations !

Restait à filer jusqu’à Goudargues, notre halte du jour. Appelé « petite Venise gardoise », un réseau de canaux sillonnent le village doté d’un superbe lavoir.

En soi le village est par ailleurs assez banal mais il recèle de beaux porches et quelques petites boutiques éminemment avenantes.

Nous nous y sommes attardées le temps de faire honneur à l’arrivage de marrons glacés de la maison Sabaton et de tester des petits gâteaux salés au cabécou et à l’ail, le tout sur fond musical. La Fannette de Jacques Brel nous a un peu remué les tripes mais force est de reconnaître que les titres qui se sont succédés ensuite témoignait d’un goût plutôt « classe » sans être vieillot. Les toilettes publiques nous ont enchantées.

La nuit à Goudargues a été très calme et l’ambiance ouatée du réveil plutôt romantique, rien à voir avec Aramon où le trafic routier a eu du mal à s’interrompre même au plus fort de la nuit.

Restait à gagner Montclus, dernier village des rives de la Cèze. Situé à l'une des entrées des gorges de la Cèze des fouilles archéologiques ont mis en évidence la présence de l'homme de 8000 à 2000 avant J-C. Il s’agissant de pêcheurs sédentaires. Le village médiéval quant à lui existait avant le XIIIème siècle et émerge au-dessus des champs de lavande.

Les Templiers y ont apposé leur griffe quant au Pont du Moulin qui enjambe la Cèze passant pour rouler des paillettes d’or, fréquemment submergé, il ne comporte pas de parapet, plutôt impressionnant. 

Comme tous les villages, Montclus offre l’occasion de tester la fermeté des jarrets et d’apprécier un habitat sobre et majestueux.

Nous avons même visité la mairie histoire de faire part de nos doléances en matière de stationnement. Nous avons quand même dû faire un bon kilomètre pedibus avant de trouver un bas côté pour accueillir notre P’tibus.

Si le label « Plus beaux villages de France » est bien souvent décevant, la vie a fréquemment déserté ces villages rien de tel avec ceux arborant le sigle « Petite cité de caractère ». Barjac appartient à cette catégorie et s’est révélé être une belle surprise mais ce sera pour une autre fois !

Dominique

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2 janvier 2023 1 02 /01 /janvier /2023 18:59

Cette nouvelle est un message d’espoir que je vous livre.

Parce que certains faits sont pour nous deux une réalité tangible…

Parce que nous avons été confrontées à des situations hors norme et que cette anormalité est devenue la norme…

Parce que la vie a mis sur notre route des personnes qui nous ont fait partager leur vécu et que nous nous sommes reconnues dans leurs histoires…

Parce qu’un jour notre Grand-Oncle, qui s’apprêtait à nous quitter, nous a offert l’Eternité, effaçant notre peur de l’Après…

J’ai voulu écrire cette histoire qui n’est pas une fiction.

Sarah existe, Patrice aussi !

L’invisible sait se rendre visible, nous pouvons en témoigner.

Dominique

Sarah

Je m’appelle Sarah, j’ai 5 ans et j’ai pas de frère ou de sœur, de toute façon j’ai pas de papa, alors !

Je vais à l’école et j’aime ça parce que ma maîtresse, elle est super géniale !

Avec elle c’est chouette, on fait plein de trucs et même qu’elle fait tout comme nous. On danse ensemble, elle fait la peinture avec nous et elle a des idées géniales ! Quand on va à la Bib et qu’on traverse la cour, en restant bien derrière elle, faut pas la doubler, elle fait exprès d’accélérer puis de ralentir, alors on se tamponne, c’est rigolo ! Dans la cour, elle fait même la queue avec nous pour avoir une patinette. Et après on fait la course !

Mais moi ce que je préfère c’est quand elle est assise sur le banc pour nous surveiller. Elle ne le dit pas mais je sais bien qu’elle est contente comme tout quand on vient s’asseoir à côté d’elle. Moi, je viens à tous les coups, alors elle dit « Tiens, voilà ma sécotine chérie ! ». Mais y’a une maîtresse que j’aime pas, c’est celle des moyens. On a pas le droit de l’appeler maîtresse ou par son prénom, il faut dire « madame » ! Quand elle sort dans la cour et qu’elle vient s’asseoir sur le banc, hop, elle nous fait partir !

Je sais bien que ça ne lui plaît pas à ma maîtresse, elle me fait un petit clin d’œil avant de me dire « allez ma louloute, va te dégourdir les gambettes ! ».

A l’école, y’a aussi un maître. Il n’est pas là tout le temps, y vient pour parler avec les bagarreurs mais aujourd’hui la maîtresse a prévenu que Patrice allait parler avec nous, chacun à son tour. Avec mes copines, on sera les premières !

Je l’aime bien Patrice, mais je sais pas ce que je vais lui dire !

P’t être que ça sera comme avec maman et qu’y va trouver que ce que je dis c’est bête !

Maman, quand je suis à la maison, elle me dit toujours de me faire oublier parce qu’elle a du travail par-dessus la tête. C’est pour ça que cette année c’est bien, je mange à la cantine et je vais à la garderie, comme ça j’ai des copains pour parler. Eux y trouvent leurs parents chiants. Fais pas ci, fais pas ça, et hop, une baffe ! Moi, jamais, mais j’sais pourquoi. Ma mère, elle s’en moque de moi. Grand-mère, elle l’avait bien dit un jour que je boudais parce qu’elle m’avait grondé « quand on aime bien les enfants, on les punit ! ». Enfin un truc comme ça. Moi, maman, elle me punit jamais, c’est bien la preuve !

La dernière fois, je l’ai dit à ma maîtresse, elle m’a pas crue, elle m’a dit qu’une maman aimait toujours ses enfants ! C’est pareil, elle m’a regardée avec des yeux tout ronds quand je lui ai dit que ma grand-mère venait me voir tous les soirs. Pourtant, c’est vrai !

Elle vient quand maman a fermé la porte de ma chambre !

Elle dit rien, elle me regarde et elle me sourit. C’est bien mais j’aimais mieux quand elle me lisait une histoire avant de m’endormir. P’t être qu’elle sait pu lire ?

Y’a pas longtemps j’ai demandé à maman si Grand-mère savait encore lire, elle m’a envoyée promener. Elle a crié « mais qu’est-ce que j’ai fait pour avoir une fille pareille ? « , et puis elle a pleuré ! Je voudrais bien lui dire pour Grand-mère quand elle vient le soir, mais elle me croira pas.

Ma Grand-mère, c’était mon grand amour et moi j’étais son p’tit amour, mais elle est morte ! Comme ça, tout d’un coup !

Maintenant je n’la vois que le soir, elle me parle avec le cœur, pas avec sa voix. J’entends rien mais je comprends tout. Elle me dit que je n’dois pas être triste, qu’elle nous protège. Elle vient pour maman aussi mais elle, elle la voit pas !

Le maître est venu comme la maîtresse avait dit. D’abord elle lui a parlé puis on est parti avec lui. Y’avait mes copines, Margaux et Zoé. Il est beau Patrice, il est tout frisé avec une grosse moustache qui chatouille quand il nous fait le bisou.

Il a commencé par nous raconter une histoire de fantômes trop drôle*. Ça se passe dans un château et les fantômes entendent des gros boums. Alors ils descendent dans la cave pour chercher d’où vient le bruit. Le plus rigolo, c’est quand ils mangent. Si c’est de la soupe au potiron, ils deviennent tout orange. Si c’est du gruyère, ils sont plein de trous !

A la fin de l’histoire, on était mortes de rire. Après, Patrice nous a demandé si on croyait aux fantômes ; mes copines, elles ont dit non mais moi j’étais pas d’accord ! Il nous a laissé un petit moment pendant qu’on dessinait ce que nous avons aimé le mieux dans l’histoire mais il est vite revenu pour demander à Zoé de retourner en classe finir un travail. Margaux a raconté son dessin pendant que je finissais le mien et elle partit aussi. Moi c’était long parce que c’est pas facile de dessiner un fantôme qui sort d’une malle !

Patrice m’a dit de pas m’presser et on a parlé. C’est drôle mais quand je lui ai raconté que j’aimerais bien que Grand-mère soit aussi drôle que la Tata Gligli de l’histoire, il a pas eu l’air de trouver ça bête ! Y m’a posé des questions sur elle, y m’a même dit que je pouvais lui dire de partir pour aller où elle devait aller. Mais je peux pas lui dire ça à Grand-mère, elle peut pas partir encore !

J’ai bien compris qu’elle attendait que maman ait compris qu’elle était toujours là même si on la voit pas !

Patrice a été drôlement chouette, y m’a parlé anglais, y m’a dit « no problem, Darling » ! Ce mot là, je le connaissais pas, c’est lui qui m’a expliqué. En me raccompagnant en classe il m’a demandé si je voulais qu’il parle à maman. Ben oui, ça je veux bien !

Le maître a donné rendez-vous à maman pendant que j’étais à la garderie et j’avais un peu la trouille quand maman est venue me rechercher. Grand-mère m’a dit que je devais avoir confiance mais qu’est-ce qui va se passer si elle ne croit pas Patrice !

Quand on a quitté l’école et que maman m’a demandé si je voulais aller manger au restau, j’ai tout de suite compris que Grand-mère avait raison !

Il est quand même vachement fort le maître !

Dans la voiture, quand j’attachais la ceinture de sécurité, maman s’est retournée et elle m’a dit un truc dingue. « Alors, comme ça, il paraît que je suis la maman d’une petite fille formidable ? ». Moi, j’ai rien répondu, je savais pas quoi dire !

Quand on est arrivées dans le restaurant, on s’est installées l’une en face de l’autre, comme si on était deux grandes personnes, on a choisi dans le menu et pendant qu’on attendait, maman m’a demandé si je voulais bien lui parler de Grand-mère. Alors je lui ai tout dit ! A la fin, maman s’est mise à pleurer. Le serveur est venu lui demander si ça allait mais elle lui a dit que c’était des larmes de bonheur ! A moi, elle m’a demandé si je voulais bien que ce soir elle vienne dans ma chambre pour voir Grand-mère.

Dans la voiture, en revenant, j’ai demandé à maman ce que Patrice lui avait dit. Elle m’a répondu que j’étais un peu petite pour tout comprendre et qu’elle pouvait juste me dire que lui aussi un jour, il avait vu quelqu’un qui était mort. C’était son papa et cela l’avait beaucoup aidé quand lui, Patrice, était malade.

Du coup, j’ai demandé à maman où il était le mien, de papa. Elle m’a dit qu’il était parti avant ma naissance et qu’elle ne savait plus rien de lui mais qu’elle me monterait des photos. En tout cas, c’est sûr qu’il est vivant parce que je ne l’ai jamais vu comme Grand-mère !

Quand j’ai répondu ça, maman a donné un grand coup de frein avant de se garer, puis elle m’a demandé si je voyais souvent des fantômes. Elle a eu du mal à faire redémarrer la voiture quand je lui ai dit que oui.

Le soir, elle est venue avec moi pour attendre Grand-mère. J’avais peur qu’elle ne vienne pas, mais non ! Maman n’a rien vu, elle a juste senti un frottement sur son bras quand Grand-mère s’est approchée d’elle pour la caresser.

Tout ce que Grand-mère m’a dit avec le cœur je l’ai répété à maman. Elle se taisait mais elle n’arrêtait pas de faire oui de la tête. Je n’ai pas bien tout compris ce que je répétais, comme quand je lui ai dit qu’elle devait s’aimer et se pardonner ses erreurs, mais bon ! Je ne savais pas que les parents faisaient eux aussi des bêtises. En tout cas Grand-mère a eu raison de dire à maman qu’elle avait le DEVOIR d’être heureuse et qu’elle le serait si elle avait le courage de faire ce qu’elle avait toujours eu envie de faire. Je le connais le rêve de maman !

Son rêve, c’est de s’occuper d’une jardinerie, c’est le métier qu’elle a appris mais qu’elle n’a pas pu faire quand je suis née. C’est beau de s’occuper de la Nature.

Grand-mère m’a dit aussi qu’elle allait bientôt nous laisser parce qu’elle était rassurée. Je ne suis pas triste parce qu’elle m’a promis que son esprit viendrait souvent nous faire des petits coucous.

Quand Grand-mère est partie, maman m’a dit tout à coup « tu sens le parfum de ta Grand-mère ? ». Et c’est vrai, dans ma chambre ça embaumait Opium comme quand elle était là !

Ce soir là, maman a fait une chose qu’elle avait jamais fait avant, elle a dormi dans ma chambre ! Et on s’est dit tous nos secrets !

Moi, le mien c’est de m’occuper des bêtes parce que les bêtes, je les comprends. C’est comme avec Grand-mère. Eux ils ne me parlent pas mais ils me montrent des images que je VOIS DANS MA TÊTE. Parfois c’est très triste.

En entendant mon secret, maman m’a serré fort et elle m’a dit « merci, oh merci, ma puce ». Quand je lui ai demandé de quoi elle me remerciait, elle a dit «de m’agrandir le Monde ».

En tout cas, c’est ma maîtresse qui avait raison de dire que les mamans aiment toujours leurs enfants ! C’est juste que parfois les gens y sont trop malheureux !

Dominique

 

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2 janvier 2023 1 02 /01 /janvier /2023 18:00

 

Au royaume de l’absurde, la folie est reine !

Délire d’auteur...

Voilà que j’ai une petite envie de Vallespir aujourd’hui…

Allez, hop, j’enfourne mon attirail de rando dans la voiture et je file sur Corsavy !

église Saint-Martin de Corsavy

J’adore Corsavy, petit village typique perché au dessus des gorges de la Fou et de la vallée du Tech, point de départ de nombreuses randonnées, mais surtout, havre de paix, loin du tumulte estival des zones littorales ; l’idéal pour décompresser sans faire des heures de route.

Ciao, les fous !

Aujourd’hui, petite marche tranquille autour du hameau ; j’ai surtout besoin d’un bon bain de nature et de silence, bien plus que d’une performance sportive. Inspirer, expirer, sentir, toucher, vibrer à l’unisson d’un univers sauvage et libre, me connecter aux arbres.

J’avance, le nez en l’air, sécurisée par mes bâtons, fouillant des yeux le feuillage des arbres, espérant y surprendre quelque habitant, à poils ou à plumes. Je botanise un peu, même si dans ce domaine, je ne fais que balbutier. C’est une occasion de vérifier mes connaissances, en quelques sortes...

Je vais, je viens, j’improvise au gré de mes envies, de mon intuition, jusqu’à ce qu’un petit creux à l’estomac se fasse sentir, me poussant à chercher un endroit propice à la restauration. J’avise alors une jolie clairière et un tronc d’arbre idéal pour me servir de siège. Voilà une salle à manger cinq étoiles, avec vue sur les monts du Vallespir, la tour et le village en contrebas… C’est grandiose ; je revis.

Tiens! J'entends des voix ; une voix d’enfant en particulier. Des promeneurs… Normal, je me promène, pourquoi d’autres ne le feraient-ils pas ? Une petite fille surgit bientôt dans la clairière, sa chevelure bouclée jaillissant d’un chapeau de paille à larges bords ; un petit chien beige batifole à ses côtés, genre boule de poils hirsutes ; un peu court sur pattes, mais sympa… M’apercevant sur mon trône végétal, la gamine s’immobilise et se retourne en adressant un signe discret à un ou des accompagnateurs encore dissimulés à ma vue. Moins hésitant, le chien file droit sur moi en battant de la queue.

Une femme surgit à son tour du couvert et rejoint l’enfant; randonneuse « pur jus » : bermuda, gros godillots et sac à dos. Avec ses cheveux gris, il s’agit sans doute d’une retraitée comme moi, et comme la plupart des marcheurs qu’il m’arrive de croiser en chemin ; les jeunes marchent peu. C’est dommage.

La femme et la petite fille échangent quelques mots avant de se décider à avancer dans ma direction. Le chemin passe devant mon tronc d’arbre avant de s’enfoncer à nouveau dans la forêt… Difficile de m’éviter ! De toute façon, le chien m’a déjà rejointe et frétille autour de moi, vivement intéressé par le contenu de mon sac à dos.

- Presto ! Non !

Un regard de mendiant me fixe avec intensité ; je résiste. « Presto »… Tiens, c’est drôle…

- Bon appétit ! S’écrie la femme avec un large sourire.

- Bon appétit, ajoute la petite fille en écho, sa jolie frimousse halée rayonnante.

Il s’ensuit un petit échange de banalités sur le temps radieux, le paysage somptueux, la paix royale, avant que la randonneuse en chef ne donne le signal du départ :

- Allez, les enfants, on continue !

La petite fille est déçue :

- On ne mange pas là ? J’ai faim, moi !

- Mais non, on va aller un petit peu plus loin.

J’interviens :

- Mais vous pouvez vous installer là, il y a de la place et d’autres troncs d’arbres !

- On ne voudrait pas vous embêter !

- Mais pas du tout ! Je ne déteste pas la compagnie, au contraire !

La petite est ravie. Derechef, elle avise une souche à proximité et s’y installe en soupirant d’aise après s’être débarrassée de son sac à dos.

La femme - sa grand-mère, peut-être - hésite encore :

- Mais vous êtes sûre ?

- Tout à fait !

- Bon.

Oui, je suis sûre. Je ne sais pas pourquoi, ces deux-là me sont sympathiques. Ces trois-là, devrais-je dire ; le chien est craquant. J’ai l’impression d’avoir des tas de choses à leur dire comme si je retrouvais de vieilles connaissances.

- Bon, Presto, tu laisses la dame ! reprend la femme en empoignant le chien par son collier pour le tirer en arrière. Vic, appelle-le !

Là, je sursaute. De plus en plus bizarre ! Presto, Vic… Une pensée me traverse mais elle est tellement folle que je la rejette aussitôt. Oui, mais quand même, ces noms-là, précisément… C’est troublant. Je ne crois pas vraiment au hasard.

- Heu… Excusez-moi, mais…

J’hésite encore. Ce à quoi je pense est complètement impossible.

La femme attend, le regard interrogatif :

- Oui ?

Je secoue la tête :

- Non… Rien. Enfin, je ne sais pas… Vous êtes… Vous ne seriez pas…

Elle attend. Je me jette à l’eau :

- Alice… Alice Paradou.

Je la vois hausser les sourcils, surprise, puis les froncer, intriguée, pour ne pas dire interloquée :

- Oui. Oui, je m’appelle Alice. Mais… On se connaît ?

Je reste abasourdie. C’est dingue. Complètement dingue.

- Oui, on se connaît. Enfin, moi, je vous connais bien… Et Victorine aussi. Et même Presto.

Son demi-sourire, mi-figue mi-raisin, me laisse à penser qu’elle me croit folle ou que c’est elle qui le devient.

Elle se laisse tomber sur une souche proche de mon tronc d’arbre. Presto en profite pour venir me coller et renifler du côté de mon casse-croûte. Je suis si heureuse de le voir, de pouvoir le toucher. J’en profite ! Il me rappelle tellement Léo.

Victorine se rapproche ; elle doit se sentir un peu isolée et, comme je la connais, il lui est sans doute très désagréable d’être mise à l’écart. Elle est belle, cette petite… Intelligente, directe, drôle, sans jamais être culottée, le genre d’enfant dont on aimerait remplir sa classe, « l’élève friandise », comme dit Daniel Pennac. C’est tout à fait ça.

Je pointe un doigt sur ma poitrine :

- Moi, c’est Frédérique. Frédérique Longville.

Le visage d’Alice s’éclaire soudain ; elle ouvre la bouche pour émettre un son qui ne sort pas ; ses yeux riboulent, elle hoche plusieurs fois la tête, déglutit :

- Incroyable ! s’écrie-t-elle enfin.

Je pense qu’elle va avoir du mal à se remettre de sa surprise ; plus que moi, peut-être. Mais elle a raison, c’est incroyable.

- Oh, je ne t’ai… vous ai… Enfin, il faut dire qu’on ne s’est jamais vues. On se tutoie ou on se vouvoie ?..

- Je crois qu’on peut se dire tu ; on est quand même très proches, non ?

Nous partons d’un grand éclat de rire. Victorine nous observe alternativement avec étonnement et circonspection. Elle ne comprend rien évidemment. Presto, lui, s’en fiche. Il se laisse caresser et tout va bien pour lui.

- Proches, oui, répond Alice, mais toi tu me connais nettement mieux que je ne te connais.

Je concède. Nous ne sommes pas tout à fait à égalité. Je pourrais dire que je la connais presque intimement ; pas elle. Loin de là.

Tout en parlant, Alice a déballé son pique-nique.

- Vous, reprend-elle… Toi, je veux dire… Tu es d’ici ?

- Non, j’habite dans la plaine. Il y a tellement de monde en bas que j’avais besoin de solitude. Et Corsavy est un de mes endroits favoris.

- Je m’en doute…

- Hé oui ! Corsavy, Saint-Guillem…

- Forcément, on a les mêmes goûts !

- Naturellement !

Nouvel éclat de rire. Victorine fronce les sourcils :

- Je comprends rien, déclare-t-elle.

- On t’expliquera, répond Alice. Mais, tu es quand même originaire des Pyrénées Orientales ?

- Non, non. Je suis née à Clamart, près de Paris. J’ai commencé à aimer cette région enfant, avant même de la connaître parce que notre mère, qui l’avait découverte en 1940, en parlait tout le temps comme d’un petit paradis. Après, nous y sommes venus en vacances tous les ans, en camping , puis nous avons acheté la maison. A l’aube de l’an 2000, ma sœur et moi, nous avons obtenu ensemble notre mutation. Un coup de chance incroyable ! Et nous avons terminé notre carrière ici, dans les PO. A la retraite, elle s’est mise à peindre et moi à écrire.

- Carrière de quoi ?

- Instit. Enfin, « prof des écoles ».

Victorine sursaute et me dévisage avec des grands yeux ébahis :

- T’es une maîtresse ?

Je lui adresse un sourire rassurant :

- J’étais, je ne le suis plus. Maintenant, j’écris. C’est pour ça que tu es là… Et Alice… Hugo, Camille...Vous ne seriez pas là sans moi !

Je sens que j’ai rajouté une couche à sa perplexité.

- Moi, je comprends pourquoi tu connais si bien les enfants, remarque Alice.

J’esquisse un petit sourire modeste ; oui, c’est vrai qu’ils sont très présents dans mes écrits, comme les animaux ; chiens, chats, chevaux, la nature…

- En tous les cas, reprend Alice, moi, je ne te remercierai jamais assez de m’avoir installée dans ce décor. C’est fabuleux ici. Qu’est-ce que je suis bien ! Et dans mon entourage, je t’assure que personne ne me contredira.

Un peu déçue par la conversation,Victorine a pris son sandwich et est partie explorer la clairière avec Presto ; c’est vrai qu’à son âge, on a mieux à faire qu’à papoter.

- Tu n’aimerais pas venir t’installer ici ? poursuit Alice.

- Oh, ça m’arrive d’y penser. Mais j’aime bien ma maison et l’idée de déménager encore ne me sourit pas vraiment. J’ai fait mon trou ; nous avons un bon réseau d’amis. Je n’ai pas envie de recommencer tout ça.

- Je comprends. Mais on pourra toujours se voir de temps en temps, se rendre des petites visites, échanger des idées pour la construction de notre nouveau monde. C’est ça, notre but, maintenant, n’est-ce pas ?

- Tout à fait.

Elle m’adresse un clin d’œil en mordant dans son sandwich. Je suis curieuse :

- Moi, je serais heureuse de rencontrer Camille, Hugo, et tous les autres… Ils vont bien ?

- Très bien ! Mais, dis-moi, tu as écrit combien de livres ?

- Une dizaine…

- Waouh ! Félicitations !

- Merci.

Elle avale quelques bouchées, le regard perdu sur le paysage, puis :

- Et qu’est-ce qui t’a donné l’idée d’écrire cette histoire ? La mienne, je veux dire…

Je réfléchis pour essayer de résumer brièvement ma démarche initiale :

- Hé bien, j’ai constaté que beaucoup de personnes autour de moi sacrifient leurs aspirations profondes aux conventions sociales ou familiales… Comme toi, au début, tu te souviens ? Tu étais incapable de dire « non » à ta fille qui en profitait pour t’exploiter… Ou comme ton fils, qui se laissait « bouffer » par son travail et par les exigences de sa femme avant de réaliser qu’il ne vivait pas ce qu’il souhaitait vraiment… ou comme ton autre fille, Camille, qui se laissait « utilisée » par ses amis, ses relations. Beaucoup de gens ne savent pas dire « non » parce qu’ils ont peur d’être rejetés.

- Oui, c’est vrai. Tu m’as bien aidée, et Nicolas et Camille aussi. Merci aussi pour tout ça !

- De rien. Tu sais, j’avoue que moi aussi, j’ai encore du mal à dire « non ».

Alice éclate de rire :

- Je te donnerai des conseils !

Victorine revient vers nous en sautillant, flanquée de son fidèle compagnon :

- Nanie, quand est-ce qu’on repart ?

- Bientôt, répond Alice machinalement.

Je pense qu’en réalité, elle n’est pas du tout pressée de lever le camp.

- En tous les cas, j’ai l’impression que tu n’as pas eu trop de mal à trouver le sujet de la suite du premier livre !

J’en conviens.

- Les circonstances s’imposaient ! On a vécu des choses tellement incroyables, le virus, les confinements et tout ce qui a suivi… Je ne pouvais pas passer à côté de ça.

- C’était une très bonne idée, cette suite ; on était tous contents de s’y remettre ! Et moi, je suis partante pour un troisième tome. Tu y songes ?

- De temps en temps. Mais il faut attendre un peu parce que j’ai fait se terminer le second en 2025 ! Je ne peux pas commencer avant.

- Ah, ça va faire long…

- Oui, mais ça me laisse le temps de peaufiner le sujet !

- Tu veux dire, ça « nous » laisse ! On pourra se concerter maintenant qu’on s’est rencontrées.

- Oui, bien sûr ! Et ça nous laissera le temps aussi de voir comment la situation mondiale évolue… La guerre, le Covid…

- On en sera peut-être à la vingt-cinquième vague… Ou plus ?

- Ils auront peut-être trouvé autre chose, va savoir. Il ne sont jamais à court d’idée pour faire peur aux gens afin de les manipuler plus facilement. Mais je pense que nous sommes de plus en plus nombreux à comprendre et à ne plus nous laisser faire. Nous allons sans doute finir par évoluer dans deux univers distincts ; d’un côté, ceux qui ont peur et ceux qui veulent continuer à vivre dans une société artificielle de profit et de plaisir ; de l’autre, ceux qui ont la volonté de créer une autre société, plus équitable et plus respectueuse du vivant. Ce sera peut-être le thème du troisième tome… Partante ?

- Et comment ! Je vais y réfléchir de mon côté.

Alice se redresse et soupire d’aise :

- Tu redescends sur Corsavy, maintenant ?

- Oui.

- On fait le chemin ensemble ?

- Bien sûr ! Comme ça, on pourra continuer à papoter !

- Et Vic sera contente de repartir ; avec elle, il faut que ça bouge !

- C’est normal, à son âge… C’est même rassurant.

Nous rangeons et nous nous mettons en marche aussitôt. Victorine et Presto nous précèdent gaillardement. A l’arrière, nous passons en revue les différents protagonistes de ma « saga »et Alice m’informe du décès de Marc, le mari de Cathy, sa voisine, qui n’a pas résisté à un second infarctus. Et dire que moi, l’auteur, je n’en ai rien su ! Parfois, les personnages vous échappent et n’en font qu’à leur tête ! Ce n’est pas la première fois que je constate ce phénomène : je monte un projet, je dresse un synopsis, je sais à peu près où je vais et soudain… Paf ! Un personnage déraille, en entraîne un autre et je suis obligée de changer de direction et d’inventer un nouveau scénario. Il m’arrive de me féliciter de leurs initiatives, mais si ce n’est pas le cas, je recadre ! Non mais, c’est qui, l’auteur ? Hein ??? On n’est pas là pour écrire n’importe quoi, quand même !

 

Nous voilà de retour à Corsavy. Ma voiture est au parking et Alice continue sa route jusque chez elle, à la périphérie du village. Elle me suggère de venir boire quelque chose mais je décline en dépit de mon envie d’aller voir sur place à quoi ressemble vraiment le « Cortal ». J’ai tout imaginé, mais je pourrais bien être surprise !

Ce sera pour une autre fois. On m’attend à Saint G. et je ne peux plus guère m’attarder ; avec les touristes, le trajet risque d’être un peu plus long qu’à l’accoutumée.

- La prochaine fois, je viens avec ma sœur ! Tu sais, elle te connaît presque aussi bien que moi. Elle lit, relit, re-relit… Elle sera ravie de te rencontrer. Souvent, en blaguant, quand on a envie de venir à Corsavy, on dit : « on va voir Alice ? ».

- Hé ben, tu vois, c’est possible !

- Oui, on a raison de dire que l’on crée sa réalité. Nos pensées sont des énergies susceptibles d’agir sur la matière… De condenser la matière… Mais je n’aurais jamais imaginé en avoir une telle preuve.

- C’est la première fois que tu rencontres tes personnages ?

- Oui, et je peux te dire que c’est drôlement émouvant !

- Du coup, il faudrait prévenir les auteurs pour qu’ils fassent attention à ce qu’ils écrivent !

- Oh là là, oui ! Tous ces livres hyper violents, ces films… Pas étonnant que le monde aille si mal !

- Allez ! Pensons positif ! On l’a compris, c’est important ! On s’embrasse ?

Nous nous étreignons chaleureusement ; Victorine arrive pour me sauter au cou et Presto me couvre de léchouilles baveuses.

- Mais alors, t’es qui ? questionne Victorine qui n’a toujours pas pu assouvir sa curiosité.

J’adresse un clin d’œil à Alice :

- Nanie va t’expliquer, c’est un peu compliqué…

Je les regarde s’éloigner tous les trois, heureuse, comblée, très émue. Ils sont beaux. Je les ai vus, touchés, embrassés ; je leur ai parlé… C’est magique !

Soudain, Alice se retourne :

- Hé, tu pourrais peut-être organiser une grande réunion de tous tes personnages ! Ce serait drôle de se rencontrer tous !

Ça aussi, j’y ai déjà pensé.

- Je vais y réfléchir !!!

 

Bon, en attendant, j’ai du pain sur la planche. J’ai laissé tomber ma Lison en Ariège et je ne sais pas trop comment faire évoluer cette histoire-là. Il va falloir que je me penche sérieusement sur l’élaboration d’un synopsis au lieu d’avancer à l’aveuglette ; ce n’est pas trop sérieux.

Et puis, il va falloir retrouver tous les autres ! Nicolas, Charlotte, Margaux, Thibault, Inès… Élisabeth et Gabriel… Mathilde et Valentine… Hé bien, ça va en faire du monde !

Tout ça nous rapprochera de 2025 et du troisième tome.

 

Pourvu qu’ils ne me réclament pas tous une suite...

 

Frédérique

 

L’histoire d’Alice :

Livre 1https://www.leseditionsdunet.com/livre/moi-aussi-jexiste

Livre 2https://www.leseditionsdunet.com/livre/la-liberte-au-coeur

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31 décembre 2022 6 31 /12 /décembre /2022 16:54

 

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30 décembre 2022 5 30 /12 /décembre /2022 17:57

Les jardins ne réclamant plus trop notre présence, ayant solutionné la quasi totalité des problèmes dont l’été et l’automne avaient été émaillés et le coup de main de Thibault ayant fait toute la différence, nous avons, ENFIN, pu partir vadrouiller sur les routes avec pour destination finale la Grotte Chauvet en Ardèche. Notre première halte fut pour l’Abbaye troglodytique de Saint Roman sur les bords du Rhône. Entre ces deux pôles une kyrielle de jolis villages dans le Gard à découvrir nous attendaient !

Si ce périple vous sourit sachez que, en de nombreux endroits, nous avons rencontré des problèmes de stationnement. Même en cette époque, quasiment tous les stationnements sont payants même si le parking est un terrain vague complètement gadouilleux.

Certains sont carrément fermés, quant aux véhicules hors gabarits leur présence est à l’évidence indésirable. Nous avons galéré souvent pour nous arrêter et même porté à la connaissance des édiles nos doléances !

L’Abbaye de Saint Roman, à quelques encablures de Beaucaire sur les bords du Rhône, est connue depuis le 10e siècle, époque où elle fut dotée de reliques, en particulier celles d’un certain Saint Roman, ce qui lui valut une notoriété certaine ! Il faut dire que le commerce des reliques bâtait son plein à ces époques et que pour les églises, abbayes, monastères un bout de crâne, une dent, quelques ossements étaient la meilleur des publicités pour attirer le pauvre pêcheur !

A titre anecdotique, la mosquée du palais Topkapi à Istanbul conservait (il a été volé, mais oui!) un poil de barbe du Prophète !

L’Abbaye est entièrement taillée dans une butte calcaire qui s’est formée suite à l’incursion de la mer dans la basse vallée du Rhône actuelle. Troué comme un gruyère et offrant grottes naturelles ou simples abris sous roche, le rocher a évolué au fil des ans au gré de l’activité humaine. Un fossé a été creusé ceinturant le rocher, des murs ont été construits sur la partie sommitale qui accueillit même, après le déclin de l’Abbaye, un château dont il ne reste que quelques murs que l’on remarque à peine tant nous restons saisi par le nombre incroyables de sépultures présentes un peu partout.

Lieu d’enseignement de nombreuses tombes de jeunes enfants jouxtent celles de laïques qui venaient en ces lieux se réfugier. Les tombes sont partout aussi bien dans la chapelle, que sous les cellules monastiques ou dans les lieux destinés aux réserves.

La maîtrise des tailleurs de pierre est époustouflante et la grande salle, jadis sur trois niveaux, laisse pantois car n’oublions pas que ces hommes œuvraient sans disposer des technologies actuelles. Le souci du détail est très présent comme en témoignent une lanterne des morts entièrement taillée dans la roche ou le superbe siège abbatial avec décor de cannelures et d’arches.

Du haut de cette butte le regard porte loin, le Ventoux, les Alpilles, le Rhône et plus proche le Mont aiguille de même formation, c’est un bel endroit que nous avons visité dans des conditions exceptionnelles, seules sur le site. Nous l’avions repéré il y a quelques années sans arriver à passer par là depuis en période d’ouverture ! C’est fait et cela en valait vraiment le coup !

Notre première journée s’est terminée à Aramon, le village est beau sans toutefois laisser un souvenir impérissable mais par contre son histoire n’est pas si banale qu’il y paraît à première vue. Encore en partie entouré de remparts, nous baladant dessus nous avons repéré une exposition de photos qui nous a interpellées. A certains détails nous avons cru reconnaître le lieu où nous nous trouvions, les maisons n’avaient pas vraiment changé, la balade des remparts ressemblait à ce qu’elle est aujourd’hui mais un détail cependant clochait. Un cours d’eau coulait en contrebas là où aujourd’hui file le boulevard qui ceinture le village !

Nous avons passé chaque cliché en revue, noté la présence d’un bac, des traces de crues sur les marches permettant l’accès aux remparts, reconnu des marques de voitures des années soixante mais rien ne nous a permis d’en tirer davantage de précision.

De retour au fourgon nous avons interrogé Google et appris qu’en 1968 le bras du Rhône qui baignait le village, fut canalisé et déplacé ! Même ensablé partiellement il était responsable d’inondations récurrentes.

Nous étions installées pile poil où jadis coulait le fleuve, nous et bien évidemment toutes les constructions qui depuis ont poussé en ces lieux !

Pas vraiment rassurant en fait car c’est quand même une évidence qu’en période exceptionnelle de fortes pluies, le Gard est un département particulièrement exposé, l’eau reprend toujours ses droits !

Enfin, la météo n’annonçant rien de bien méchant nous avons dormi du sommeil du juste rêvant à la suite de notre périple !

Dominique

 

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17 décembre 2022 6 17 /12 /décembre /2022 17:52

Voilà... Jules et Juliette ("C'est quoi, cette vie?") ont eu une fille, Jade... Qu'est-elle devenue, vingt ans après?

(Inspirée par un fait réel: le 30 avril 2022, huit étudiants d'Agro Paris tech appellent à déserter l'agro-industrie lors de la remise des diplômes...

https://www.novethic.fr/actualite/environnement/agriculture/isr-rse/des-etudiants-d-agroparistech-appellent-a-deserter-l-agro-industrie-en-pleine-remise-de-diplome-150785.html )

 

église romane de Jujols 66

église romane de Jujols 66

Ça, c’est la Vie !

 

 

Le nez collé à la vitre du TGV, Jade fuit.

Quelques heures plus tôt, devant un public admiratif, avec sept de ses camarades fraîchement diplômés, elle a lancé un appel à déserter, à tourner définitivement le dos aux métiers destructeurs auxquels leurs études les ont préparés, et à ne plus participer aux ravages écologiques et sociaux qu’ils impliquent. Chacun s’est appliqué à dénoncer les nuisances causées par l’agro-industrie avant d’énoncer le projet à contre courant qui lui tenait à cœur devant un public sidéré.

Passé cet instant de sidération, les applaudissement ont salué leur courage et leur détermination. Pas sûr que les enseignants et les parents présents aient été aussi enthousiastes que les étudiants, mais ils s’en fichaient : ils avaient voulu frapper un grand coup et ils avaient réussi.

Jade est satisfaite de leur petit coup d’éclat. Peu importe que sa mère, assise quelque part dans l’obscurité de la salle s’étrangle de rage et d’indignation ! Après tout, elle ne l’a pas prise en traître et si elle n’a rien vu venir, c’est qu’elle a volontairement ignoré les signes avant-coureurs

Jade a toujours été une brillante élève, conservant jusqu’à ce diplôme de fin d’études supérieures son année d’avance. Mais l’avenir que lui promettait cette filière ne l’intéresse pas, elle l’a toujours dit. Enfin, non, pas toujours… Au début, elle y croyait vraiment, s’imaginant acquérir les connaissances et les aptitudes nécessaires pour améliorer le sort des humains en développant, entre autres, des techniques de préservation de l’environnement. Mais ce qu’elle a découvert au fil des enseignements est tout le contraire et vise à tuer la planète à petit feu pour dégager toujours plus de profit. Et toujours pour les mêmes, les profits, bien sûr ! Surtout, que les pauvres soient toujours plus pauvres pour que les riches soient toujours plus riches !

Aujourd’hui, Jade et ses amis déserteurs ont acquis la conviction que l’agro-industrie nuit au vivant et que, dans ce domaine, les métiers proposés, certes lucratifs, font davantage partie des problèmes que des solutions. Elle aimerait convaincre d’autres jeunes. Mais ils sont trop peu à s’éveiller ; la plupart vit dans le virtuel et la réalité ne les intéresse pas.

Combien de fois Jade a-t-elle dit à sa mère au cours des semaines, des mois passés, qu’elle en avait assez ? Des milliers de fois...

Non, Juliette ne peut pas être vraiment surprise ; sa fille n’a terminé ses études que par respect pour l’engagement financier de sa mère. Oui, elle décrocherait son diplôme ; non, elle ne consacrerait pas sa vie à cette branche sans éthique et dévastatrice. Elle n’en a rien à faire d’amasser du fric, d’avoir trois ou quatre maisons et des grosses voitures.

Oh, bien sûr, Juliette est persuadée que sa fille est influencée par son père qu’elle présente volontiers depuis leur divorce comme un « bras cassé » en rupture de banc. Peut-être l’a-t-il effectivement sensibilisée, préparée à faire sécession... Mais en tout cas, il ne l’a jamais encouragée à tout plaquer. Jamais.

 

 

 

Jade avait sept ans lorsque ses parents se sont séparés. Sur le coup, elle en avait presque été soulagée. Suite à un « burn-out » sévère, Jules s’était retrouvé au chômage, plus rien ne le motivait. Bourré d’anxiolytiques, il se traînait toute la journée entre la lit et le canapé, devant la télé où il finissait de s’abrutir, incapable d’accomplir la moindre tâche ménagère ou d’envisager une quelconque solution d’avenir. Passée la patience compatissante des premiers temps, Juliette avait fini par le secouer pour le faire réagir ; c’est alors que la situation s’était envenimée. Les disputes éclataient à tout moment, poussant Jade à se réfugier dans sa chambre, la tête sous l’oreiller pour ne plus rien entendre des cris ou des insultes échangées.

Jusqu’au jour où Juliette avait demandé le divorce.

Jules n’avait pas dit non. Il n’en pouvait plus, lui non plus. Sans travail, sans domicile et sans autre alternative, il était retourné chez ses parents.

La paix était revenue chez Juliette et Jade.

Fortement marquée par ce qu’elle venait de vivre, Jade ne voulait pas voir son père.

Jules ne se battait pas non plus pour voir sa fille, se contentant des moments où elle venait rendre visite à ses grands-parents.

A cette époque-là, Jade observait son père avec méfiance, redoutait de se retrouver seule avec lui. Négligé et barbu, il lui faisait peur.

Puis un jour, Jules avait disparu.

 

 

 

Trois mois de silence absolu et d’interrogation. Jules s’était peut-être suicidé ? Sans doute non puisqu’il avait pris la peine d’emporter des affaires… Mais alors où était-il ?

Puis un jour, il écrivit à ses parents, à sa femme, à sa fille… Un ancien camarade de Khâgne l’avait convaincu de le suivre dans les Pyrénées Orientales, où avec un groupe d’amis il redonnait vie à un hameau ruiné perdu dans la montagne. Il allait mieux. Et sa fille lui manquait.

 

 

 

Jade est fière d’être allée jusqu’au bout de sa démarche, d’avoir bousculé les esprits. Son diplôme d’ingénieur, elle n’en a que faire. Comme ses amis, elle déserte pour se consacrer à la construction d’un autre monde, plus respectueux du vivant. Le paysage file à toute allure sous ses yeux. Elle n’arrive pas à être vraiment heureuse ; elle aurait tellement aimé que sa mère comprenne, et voit dans la décision de sa fille autre chose qu’un affront personnel ou une trahison.

A son retour chez elle, l’accueil a été glacial, laconique, définitif :

- Tu prends tes affaires et tu t’en vas.

Jade a tenté de parlementer, d’expliquer qu’elle était reconnaissante à sa mère pour ses études, qu’elles lui serviraient malgré tout et seraient un atout formidable pour sa vie future. Elle voulait juste décider de la meilleure façon d’exploiter ce précieux savoir.

Mais Juliette n’était pas en mesure de comprendre. Elle était blessée et voulait faire mal en retour. A la porte ! Elle avait flanqué Jade à la porte, suite à une condamnation sans appel.

Le cœur gros, Jade a rempli une valise, un sac de voyage et son sac à dos des affaires auxquelles elle tient le plus et quitté l’appartement parisien pour se réfugier chez une amie. Pendant une semaine, elle a tenté d’appeler sa mère, lui laissant des milliers de messages… Mais en vain. Elle n’a essuyé qu’une silence hostile.

- Va voir ton père, lui a suggéré son amie.

 

 

 

C’est ce qu’elle fait. Jade file vers les Pyrénées Orientales où, depuis l’âge de neuf ans elle passe la moitié de ses vacances, dans un petit village de montagne qu’elle a vu renaître à la vie, un endroit magique où, peu à peu, Jules a redonné un sens à son existence. Vacances de rêve qu’il valait mieux taire à sa mère, Juliette ne supportant plus la moindre évocation de son ex-époux. Oh, elle voyait bien que sa fille rentrait à regret à Paris ; même les vacances sur la côte d’Azur lui paraissaient fades comparées à ses séjours catalans ! Mais que pouvait-elle bien faire avec son père qui la rendait si heureuse ? Juliette aurait aimé le savoir tout en refusant d’en entendre parler.

Jade mourait d’envie de raconter la vie dans les hauteurs, ce petit monde qui était en train d’éclore sous ses yeux. Le village renaissait de ses cendres par la volonté d’une poignée de bénévoles autodidactes formés sur le tas aux métiers de maçons, électriciens, plombiers, plaquistes… Certains, comme Jules, avaient fait des études supérieures et tout plaqué pour « ralentir », trouver un rythme plus juste, plus harmonieux, plus authentique. Les maisons étaient restaurées dans le plus grand respect de l’architecture autochtone. La beauté, partout.

Jules s’était lié d’amitié avec le vieux chevrier, installé à la sortie du village ; il aimait le contact des animaux et lui apportait volontiers son aide.

Jade adorait s’occuper du troupeau, accompagner son père sur les sentiers escarpés à la recherche des meilleurs pâturages. L’ambiance du village était légère, joyeuse ; tout le monde se connaissait et le partage régnait en maître. Les disputes ne duraient jamais très longtemps. Chacun avait le même objectif en tête : construire un monde nouveau où les valeurs de la République seraient enfin respectées. Quelques artisans étaient venus s’installer, proposant en saison leur réalisations aux touristes et randonneurs de passage. Plusieurs familles étaient arrivées là avec des enfants et d’autres y étaient nés depuis.

Aujourd’hui, le vieux Marti a pris sa retraite et Jules lui a succédé à la chèvrerie. Il a hérité de tous ses secrets et fabrique de délicieux fromages qu’il va vendre sur plusieurs marchés de la région. Le village n’est pas vraiment autonome, mais chacun cultive un bout de jardin tout en ayant à cœur de faire travailler les petits commerces et les producteurs locaux ; pas question de mettre les pieds dans un supermarché car pour tous, la transition commence par un boycott systématique de l’agroalimentaire.

Si ce n’est pas le paradis, cela y ressemble beaucoup.

Comment Jade aurait-elle pu ne pas aimer cet endroit ? Son plus grand regret est de ne jamais avoir pu partager ce sentiment avec sa mère. Comment lui faire comprendre que le petit monde du village est heureux justement parce qu’ils s’est affranchi de presque tout ce que la société moderne a à leur proposer, de tout ce qu’elle a justement appris dans son école d’ingénieurs ? Comment lui faire admettre que la clé du bonheur et d’une vie réussie n’est ni le pouvoir ni l’argent, mais le Respect et l’Amour. Voilà la véritable abondance.

 

 

 

Jade n’a pas prévenu son père. Elle se réjouit de le surprendre. Elle a trouvé un conducteur « Blablacar » pour la mener à destination ; il lui a juste fallu l’attendre deux heures en gare de Perpignan, mais ce n’est pas grave puisqu’elle a tout son temps ! Cerise sur le gâteau : arrivés à Olette, il a même accepté de faire le détour jusqu’au village !

La voilà arrivée.

En embrassant le décor de ses vacances, la petite église romane en surplomb de la vallée, le majestueux Canigó et la chaîne dentelée des pics catalans, son cœur s’allège, ses tourments s’apaisent.

Jade aime les arbres, la nature, les animaux, les grands espaces… Elle ne désire qu’une seule chose, entrer dans l’action pour les protéger. Et elle sait où trouver le soutien, l’entraide dont elle a besoin. Là, au village. Loin des villes, de la foule, des gens qui courent sans savoir où ils vont, qui s’étourdissent de plaisirs factices, superficiels, en s’imaginant être heureux.

Au village, chacun possède peu, mais tout le monde est riche d’une richesse que nul ne viendra leur voler et qu’il est inutile d’assurer. Leur cas n’est pas unique : ici et là, les expériences similaires fleurissent, des communautés, des associations et aussi des individus isolés se mobilisent pour la restauration du vivant bafoué, meurtri, souillé et scandaleusement exploité. Les consciences s’éveillent lentement. Ils sont parfois découragés par cette lenteur, avec le sentiment de ne pas être assez nombreux pour inverser la vapeur et faire pencher la balance du bon côté, de ne pas aller assez vite, comparativement aux grands trusts qui filent vers le transhumanisme à toute allure.

Jade est souvent découragée par les comportements de ses semblables en quête de facilité, d’une technologie toujours plus performante et plus rapide. Mais que vont-ils faire de tout ce temps gagné ? Comment font-ils, tous ces gens, pour ne pas se rendre compte qu’ils sont de plus en plus dépendants des objets connectés ? Dépendants, donc localisés, espionnés, fliqués en permanence ! De plus en plus de personnes règlent leurs achats grâce à une application sur leur smartphone ; c’est tellement pratique ! Alors pourquoi pas une « puce » sous la peau pour gagner encore plus de temps, ne plus risquer de perdre leur papiers ou leur portable ? Combien s’en offusqueraient ? Combien se rebelleraient ? Même leur santé, ils la confient à des ordinateurs ! Les montres connectées qui surveillent en permanence les constantes vitales se vendent comme des petits pain car par dessus tout, les gens ont peur de mourir. Mais sont-ils seulement encore vivants ?

Il ne faut pas croire cependant qu’au village l’on vive au moyen âge ! Il y a des portables, des ordinateurs et des écrans de télévision, mais les habitants n’ont pas besoin de ça pour être en lien ou pour se distraire. C’est un plus, une commodité, parfois une nécessité pour communiquer avec des personnes éloignées géographiquement. La modernité a ses avantages et personne ne songent à les nier dans la mesure où elle ne réduit pas en esclavage. Le gros problème, c’est son pouvoir de séduction, la fascination qu’elle exerce sur les utilisateurs anesthésiés qui en veulent toujours plus et préfèrent en ignorer les dérives.

Jade est entrée en résistance contre cette technologie, mais aussi contre elle-même, afin de s’en tenir à une utilisation juste et rationnelle. Elle ne se refuse rien, même pas les réseaux sociaux, mais elle se surveille. Mais oui, il est tellement facile de succomber ! Grâce à l’intelligence artificielle, tout est possible aujourd’hui, ou presque : un robot est même devenu récemment PDG d’une entreprise chinoise*. Sans salaire, sans jours fériés, sans vacances ! Disponible 24h sur 24 ! Séduisant, non ?

Effrayant, oui !

Jusqu’où cela peut-il aller ? Il semble qu’il n’y ait plus de limite dans ce monde désorienté qui a perdu ses valeurs au point de bafouer la notion même de féminin et de masculin.

 

 

 

Il est temps de réagir avant de ne plus pouvoir faire marche arrière et s’ils ne sont qu’une poignée de résistants comparativement à l’ensemble de la population, ils peuvent toujours espérer un effet boule de neige, en attirer d’autres dans leur rangs.

Gonflée d’espoir, Jade se dirige à présent vers le village, remontant la rue principale en traînant péniblement sa valise pour rejoindre la chèvrerie, à la limite de la réserve naturelle, royaume du gypaète barbu et de l’aigle royal.

- Oh Jade ! Déjà en vacances ?

Le bruit des roulettes sur les dalles disjointes de la ruelle a fait sortir Philippe, un des tout premiers résidents à l’origine de la renaissance du hameau abandonné. Jade se livre en souriant à une accolade chaleureuse :

- Non, pas en vacances ! Je m’installe définitivement, déclare-t-elle fièrement.

Philippe laisse échapper un cri de victoire :

- Youhou ! Hé, Valérie ! Viens voir qui est là !

Sa femme arrive, et les embrassades continuent. Philippe va chercher sa brouette pour charger les bagages de Jade :

- Allez, petite, je t’accompagne chez ton père. Mais pourquoi il est pas venu te chercher ?

- Parce que c’est une surprise.

- Ah ben ça, pour une surprise, ça va en être une !

Tandis qu’ils remontent la ruelle pentue, d’autres se joignent à eux et c’est finalement une petite troupe joyeuse et bruyante qui débarque à la chèvrerie, accueillie par les deux border-collies tout émoustillés et frétillants. Jules sort de chez lui, intrigué, en bras de chemise ; son étonnement fait rapidement place à la joie. Lui aussi pense que les vacances commence bien tôt cette année, mais Jade ne laisse pas planer le doute longtemps, trop pressée de faire part de sa décision à son père :

- J’ai tout plaqué. Je viens vivre ici.

Jules est médusé, troublé et un peu inquiet :

- Mais… Tu ne regretteras pas ?

Jade embrasse le paysage d’un regard amoureux :

- Ici ? Jamais !

Une explosion d’enthousiasme salue sa réponse tandis qu’elle disparaît dans les bras de son père.

Jade est certaine d’avoir fait le bon choix. Sa vie est là désormais : là où la nature est chérie et respectée, là où l’humain occupe sa juste place, en harmonie avec les autres, la faune, la flore, et même en lien direct avec les mondes invisibles, pour peu qu’il soit un peu attentif.

 

Oui, voilà ; Juliette et tous les récalcitrant, les hypnotisés, les manipulés, les inconscients de tous poils finiront peut-être par comprendre : c’est ça, la vraie Vie.

 

Frédérique

 

* Depuis août 2022, « Madame Tang Yu », une intelligence artificielle, autrement dit un robot, dirige une entreprise de jeux vidéos et est capable de prendre ses décisions elle-même en analysant les émotions des employés.

 

 

Cortal Faré sur fond de Canigou

Cortal Faré sur fond de Canigou

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